Tenir les deux bouts

Entretien avec Sophie Salbot, productrice de films documentaires


Depuis 1998, Sophie Salbot produit via sa société Athénaïse des films documentaires et de fiction. Si elle a beaucoup travaillé avec des réalisatrices et réalisateurs africains, elle n’en fait pour autant pas un leitmotiv. Ce qui l’intéresse, c’est permettre l’existence de regards singuliers, qui racontent quelque chose du monde dans lequel nous vivons. Notre échange porte sur la façon de faire du cinéma, aujourd’hui, à l’aune d’une histoire coloniale commune. Comment choisit-on de s’emparer ou, au contraire, d’ignorer cet héritage ?


Marie BOULIER : Je me souviens d’une conversation avec Federico Rossin1 à Lussas, durant laquelle il nous rappelait très justement que, lors d’un voyage, le rapport colonial était toujours soumis à des normes ; il ajoutait, puisqu’il était question de cinéma : « Il y a une esthétique du film colonial et post-colonial. Qui a la caméra a du pouvoir sur l’autre.» Toi qui évolues dans ce milieu du cinéma depuis des années, qui accompagne des réalisatrices et des réalisateurs, comment perçois-tu ces enjeux de pouvoir ?

 

Sophie SALBOT : J’ai l’impression qu’on les perçoit d’autant mieux quand on a affaire à des personnes vulnérables. C’est là qu’on le détecte. Je pense à deux exemples. Le premier c’était un film tourné au Sénégal de Khady Sylla et Charles Van Damme, qui s’appelle le Monologue de la muette (2008, 45 min), un film sur les petites bonnes dans les familles dakaroises. C’était d’une certaine façon naïf de notre part d’envisager ce film comme nous l’avions imaginé au début. Nous nous sommes heurtés à la violence de la domination en essayant de faire le film. Nous ne l’avions pas pensée avant. Je m’explique : faire un film sur les bonnes, c’est faire un film sur le maître. Ce qui a été douloureux et difficile dans ce film c’était d’être au cœur de la violence d’un rapport de domination. Non seulement on en était au cœur mais on y était impliqués. Avec nos caméras, le temps du film, on l’a entretenu. C’étaient les familles des maîtres à qui il fallait demander les autorisations : l’employeur a dit oui, la petite bonne n’avait pas le choix. Elle n’avait rien demandé mais subissait. Rétrospectivement je peux comprendre son mutisme. J’ai proposé de la payer, elle a donné l’argent à sa maîtresse. Elle ne comprenait pas ce qu’on lui voulait, en fait, je crois. D’une certaine façon, la rencontre n’a presque jamais eu lieu. C’est la fois où j’ai senti de façon la plus violente cette question du rapport de domination, qui est porté par le fait d’être avec la caméra et de filmer l’Autre. Le deuxième exemple est le film d’Alice Diop, La Permanence (2016, 96 min). Nous savions que nous allions filmer des personnes vulnérables. Elles venaient en consultation et en arrivant dans le cabinet du médecin, il y avait une caméra. Pouvaient-elles vraiment dire non ? C’est quelque chose qui nous a travaillé. Je me souviens m’être dit, quand on pensait à faire signer des autorisations : cette démarche c’est pour se protéger soi, pas ceux qui sont filmés. Je m’étais dit que de toute façon, ce papier n’avait pas de valeur car si quelqu’un revenait sur cette signature, sa parole prévaudrait et jamais je n’opposerai un papier signé à un refus postérieur. Le choix d’Alice dans ce film, ça a été de refuser l’exceptionnel, de se concentrer sur la banalité. Il ne fallait pas qu’on soit voyeurs, qu’on soit au spectacle. La question du pouvoir elle est là. La façon que j’ai trouvée d’y répondre c’est de réfléchir à ces questions : qu’est-ce qu’on est en train de faire, qu’est-ce que ça veut dire ce geste là, à quoi je participe, moi, productrice d’un film ?

Le monologue de la muette, real. Khady Sylla et Charles Van Damme, 2008
Le monologue de la muette, real. Khady Sylla et Charles Van Damme, 2008

Marie BOULIER : Dans un autre entretien, tu expliques que tu t’intéresses plus au geste de cinéma, aux questions de cinéma qu’à faire du cinéma en Afrique juste parce que c’est l’Afrique. Tu dis que ce qui t’attires dans ton métier, c’est la rencontre avec l’autre. Et pourtant, tu ajoutes que la question du vocabulaire entre les deux entités – France et Afrique – est primordiale. Je te cite : “tout n’est pas soldé dans le rapport de la France au continent Africain2”. Comment parviens-tu à jongler entre une façon de travailler qui va chercher la singularité et les rapports politiques encore ambigus qu’entretiennent les deux pays, celui où se passe le tournage et la France depuis laquelle tu produis ?

 

Sophie SALBOT : Bien sûr, je suis Française. Bien sûr, je travaille à partir de la France. Mais ma particularité de Française c’est que je suis issue de l’histoire coloniale puisque mon père est Guadeloupéen. Moi, je suis allée au Burkina quand j’étais étudiante et ça a fondé une grande partie de ma vie parce que là bas, pour la première fois, j’ai été reconnue. Je ne l’étais pas quand j’allais en Guadeloupe, parce que la Guadeloupe porte une autre complexité. En France, vivant dans une petite ville de province, j’étais stigmatisée, parce que j’étais ce que j’étais, j’avais la couleur que j’avais. Or, quand je suis arrivée au Burkina, on m’a reconnue. Travailler depuis la France sur le continent africain, c’est travailler avec toute cette histoire. Bien sûr, je suis prise dans ces rapports coloniaux complexes mais d’une façon certainement différente que quelqu’un qui n’aurait pas eu l’histoire que j’ai. Je dis souvent que j’ai besoin de comprendre d’où parlent les réalisateurs. Moi produisant des films en Afrique c’est aussi d’un endroit très particulier qui est le mien. La question coloniale, les rapports nord/sud me travaillent depuis enfant, elle me constitue. Travailler en Afrique, c’est en étant porteuse de tout ça, de ce vécu là.

 

Marie BOULIER : Pour toi, gérer cette ambivalence, c’est te sentir juste depuis l’endroit où tu te places ?

 

Sophie SALBOT : Je n’ai jamais vécu ma position comme ambivalente. Mais je ne me trompe pas : je suis Française et j’ai du faire des chemins pour connaître ces Autres, savoir qui ils sont, leur regard, leur vision du monde. Et ces chemins que j’ai fait vers eux, je les ai entrepris bien avant de produire des films.

 

Marie BOULIER : D’où on parle, c’est aussi vers qui on va ?

 

Sophie SALBOT : Oui, il y a quelque chose de cet ordre. Ils m’ont d’ailleurs sans doute reconnue parce qu’ils ont vu que j’avais fait une partie du chemin. C’est pour ça que je ne l’ai jamais vécu comme une ambiguïté. La question de déjouer le rapport post-colonial, c’est une question qui a occupé une partie de ma vie, que j’étais contrainte de travailler et donc, dans mon travail, j’ai essayé de continuer à la travailler et à la déjouer. A essayer de ne pas l’entretenir ni à en être prisonnière.

 

Marie BOULIER : Je me souviens que tu m’as dit, à l’occasion d’une de nos rencontres, qu’à ton avis, des blancs pouvaient faire des films sur les sociétés africaines pour peu qu’ils assument leurs places et leurs regards. Je te cite : “J’ai besoin de comprendre d’où parle le réalisateur, de son rapport au monde”. Là, tu exprimes sensiblement la même chose, à ton sujet cette fois. J’ai lu une phrase de toi qui disait : “produire des films en Afrique c’est comprendre leur rapport à l’argent, à la vie, à la mort…3

 

Sophie SALBOT : Je crois que c’est une question un peu brûlante en ce moment : qui a le droit de faire quoi ? Pour moi, c’est important de dire que tout le monde a le droit de filmer tout le monde, mais que souvent ce n’est pas réciproque. J’ai longtemps travaillé avec un réalisateur qui s’appelait Idrissa Ouedraogo. Il a été encensé par Cannes tant qu’il faisait des films au Burkina mais dès qu’il a voulu faire un film en France, ça a été plus compliqué. J’ai beaucoup accompagné son film dans les débats et la question n’était pas de savoir s’il avait fait un bon film ou un mauvais film, mais plutôt un malaise pour les Français d’être regardés par un Africain. On lui disait parfois très directement : “on t’aime quand tu filmes dans le Sahel, mais quand tu filmes chez nous, ça pose problème”. Les Occidentaux oublient qu’ils ont toujours été dominants, ils ne supportent pas le regard de l’Autre sur eux-mêmes. L’an dernier j’avais eu ce débat au festival Cinéma du Réel (Paris) et la question qui revenait était : “est-ce que nous, Occidentaux, pouvons aller filmer l’autre dominé ou ancien dominé ?” et je leur répondais : “Oui, mais questionne ton regard. D’où tu le filmes, comment tu le filmes. Questionne ton désir d’aller filmer l’autre et rappelle toi que l’autre n’a pas les mêmes codes que toi. Un assentiment chez l’autre n’est pas porteur de la même chose qu’un assentiment chez toi. Il faut en avoir conscience.” Une question que je me pose beaucoup c’est : quel est ce besoin d’aller filmer les pauvres, les noirs, les Autres dans des états de faiblesse ? Alors, je me demande : on ne peut jamais filmer les gens en état de faiblesse ? Ca me fait repenser à ce film de Marie Moreau, Soleil sombre (2017, 42 min), dans lequel elle filme une femme junkie. Ce que Marie fait, c’est filmer leur relation. La mise en scène lui permet une mise en danger qui rend le film juste, à mon sens. Le rapport de classe est une dimension très importante, également. Les riches on ne les filme pas. Ils savent ce que c’est la représentation. La déchéance des riches, c’est en fiction qu’on la voit. Pas en documentaire. Leur richesse et leur position sociale avantageuse rééquilibrent le pouvoir de la caméra. La question de combattre la domination du nord sur le sud, non seulement j’y adhère mais je la soutiens ; elle est croisée avec une domination des classes dirigeantes du sud sur les peuples et ça à mon sens, il ne faut pas l’oublier. Le rapport de classe croise la question raciale ou coloniale et il faut les travailler ensemble, on ne peut pas se dédouaner de l’une sur l’autre : il faut essayer de tenir les deux bouts.

Soleil sombre, real. Marie Moreau, 2017
Soleil sombre, real. Marie Moreau, 2017

Marie BOULIER : Amandine Gay écrit : “Je revendique aussi le droit de faire des films qui ne soient pas politiques au sens de “films créés dans le but strict de décoloniser les arts”. Pour moi les films sont politiques dans la constitution de l’équipe artistique et technique, dans les sujets abordés, dans l’esthétique4.” Est-ce que la constitution d’une équipe locale, liée au lieu dans lequel se trouve le tournage – et du coup, les conditions de travail spécifiques à ces lieux (parfois très éloignées des avantages sociaux que l’on connaît en France) sont une préoccupation pour toi, en tant que productrice ? Comment se décide le recrutement des techniciens qui feront le film ?

 

Sophie SALBOT : C’est une préoccupation à toutes les étapes d’accompagnement du travail d’un réalisateur du sud, y compris dans l’écriture. Je sais combien c’est dur de créer et ça l’est beaucoup plus dans les pays d’Afrique, parce que la question de la survie quotidienne est permanente. L’écriture d’un projet et la création demandent du temps, d’être libéré des soucis de survie. En tant que productrice j’essaie – je ne dis pas que j’ai toujours bien fait – d’y penser. Je connais cette réalité car c’est arrivé plusieurs fois que des réalisateurs avec lesquels je travaillais m’appellent pour me demander de l’argent. Dire que je travaille avec quelqu’un, c’est connaître sa situation et ne pas me dire que ça ne me regarde pas. Je peux parfois me le dire avec un réalisateur français parce qu’il y a le système des assedics, etc., mais je ne peux pas me le dire de la même façon avec un réalisateur africain, dont je connais la situation. De plus, s’il est réalisateur, il est souvent chargé de famille car dans une position plus élevée que la plupart des gens de son entourage, donc sa vie sera émaillée de problèmes. Je ne peux pas fermer les yeux sur sa situation. J’ai essayé de me poser cette question : c’est quoi travailler avec l’Autre ? C’est tenir compte de la société dans laquelle il travaille, et des conditions dans lesquelles il vit. Sur la question des équipes, ça se pose différemment en fiction et en documentaire et ça se fait avec le réalisateur. On est pris entre différentes contraintes : je dois considérer les compétences du technicien, si j’ai de l’argent du CNC j’ai parfois une contrainte économique à engager quelqu’un en France : c’est rarement simple. Les techniciens étant moins formés en Afrique, les choix sont plus limités. Dans les films que j’ai produits en Afrique, il était toujours convenu que les équipes seraient mixtes. D’une part parce que c’était évident, d’autre part pour des raisons économiques – travailler avec des gens sur place coûte moins cher que faire venir quelqu’un. Mais ce n’est pas toi qui les engage : à l’étranger tu travailles avec un co-producteur ou un producteur exécutif, donc tu n’es pas totalement maître de leurs conditions de travail. Je me souviens d’un tournage au Burkina, il y avait un budget véhicule énorme. J’ai insisté en disant que je préférais mieux payer les gens plutôt que de gagner en confort. C’est un équilibre, c’est choisir.

 

Marie BOULIER : Je pense aussi au projet de film d’Adama Sallé que tu as, je crois, accompagné pendant des années mais qui ne s’est pas fait. J’ai retrouvé un entretien5 dans lequel tu te dis choquée des propos rapportés par les commissions CNC, du regard très paternaliste que ses membres portent sur l’Afrique et les réalisateurs africains, jusqu’à penser savoir mieux qu’eux-même ce qu’il faut filmer, aujourd’hui, de l’Afrique.

 

Sophie SALBOT : Je n’aime pas les généralités, ça me gêne parce que j’ai l’impression que c’est injuste. Je me souviens très bien des retours que j’ai eus de certains membres de la commission de l’avance sur recette. Il y avait une espèce de condescendance à juger du regard d’Adama sur sa communauté. J’ai présupposé que ces gens n’étaient jamais allés là bas et je me suis demandé, justement, d’où ils parlaient pour exprimer ça. Ca m’avait indignée qu’avec les éléments qu’on avait donnés, ils puissent avoir ce jugement surplombant de la personnalité d’Adama. Ca arrive encore souvent que les gens en Europe ou en France attendent des cinéastes africains un regard particulier. Comme je disais par rapport à Idrissa : “tu m’intéresses quand tu filmes dans ton Sahel, mais ne viens pas chez moi.” Il y a souvent une complaisance qui me semble mal placée sur ces projets. Mais je pense que c’est en train de changer : parce que maintenant, c’est sur le tapis et ça ne l’était pas il y a seulement cinq ou six ans. C’est en train de bouger, lentement, mais je crois qu’il se passe quelque chose. Peut-être pas encore du côté des argentiers et des décideurs mais les jeunes générations font évoluer tout ça.

 

Marie BOULIER : Pamela Pattynama, qui est professeur en littérature post-coloniale à l’université d’Amsterdam écrit que, dans l’imaginaire collectif, les photographies coloniales deviennent des représentations d’une vérité passée.6 Or, nous savons bien qu’une image ne peut être lue qu’à la lumière du contexte dans lequel elle a été prise. Pourtant, encore aujourd’hui, les images de l’époque coloniale sont devenues un fixateur d’identités et perpétuent cet imaginaire collectif. Cette notion de représentation, notamment des corps “racisés”, devrait être primordiale. Amandine Gay écrit : “l’intérêt de considérer la racisation comme un processus c’est que cela permet aussi d’interroger la norme et le pouvoir, face auxquels nous sommes construits comme “Autres”7.

 

Sophie SALBOT : Je ne peux pas te dire comment je travaille cette question de la représentation de l’autre. J’y suis sensible. J’essaie de me demander ce qu’on est en train de faire, quel film j’accompagne. Je crois que travailler comme je l’ai fait avec des réalisateurs qui mettent en scène des personnes noires sur lesquelles il y a des fantasmes et des préjugés énormes, c’est être pris dans ces questionnements en permanence. C’est une responsabilité, un pouvoir. Quelle distance, comment je regarde l’autre ; ce sont des questions qui sont au cœur de la mise en scène. L’image a un rôle tellement important, elle s’imprime dans nos esprits de façon presque inconsciente. La façon de représenter des corps racisés aura un impact énorme, justement parce que ça passe par l’image.

 

Marie BOULIER : Leila Cuckerman écrit : “Tous les artistes revendiquent un travail d’élaboration symbolique de soi, comme singularité issue des archives de son corps, de sa langue, de l’interrogation de son énigme intime en rapport avec les mystères tragiques de la condition humaine. Mais ce droit est refusé aux artistes issus de cette expérience dite « trop particulière » et pourtant combien partagée dans le peuple en France : la déportation, l’exploitation esclavagiste, l’exploitation coloniale indigéniste, la contrainte de migration. Ce droit est refusé par une société qui exclut tout en se réclamant de l’universalisme8.” 

 

Sophie SALBOT : Le premier mot que je retiens c’est : universalisme. Ce doit être un des mots les plus utilisés dans les notes d’intention. Ce mot me fait tiquer en permanence. On baigne dans cette idéologie occidentale et ethnocentrée, d’où nous avons donné le “la” à la marche du monde. C’est un vrai nœud, un mot utilisé inconsciemment sans se rendre compte de tout ce qu’il porte de rapports de puissance, de rapport colonial. Décoloniser les arts, ça passe aussi par remettre en question ce mot. Car parler d’universalisme c’est considérer qu’une partie de l’humanité est l’humanité en présupposant que l’autre – qu’on ne cherche même pas à atteindre – est une quantité négligeable. J’écoutais tout à l’heure une conférence avec Isabelle Stengers et Bruno Latour. Justement, elle disait “poser la question de l’essentiel, c’est forcément se dire qu’il y a des choses qui ne le sont pas, qui sont quantité négligeables”. Parler d’universel c’est supposer que l’humanité se réduit à ceux qui pensent comme soi. Décortiquer ce mot utilisé dans le cinéma utilisé tout le temps pour donner du poids à ses projets, c’est primordial. Après, est-ce que je me sens empêchée… on en a parlé au sujet du film d’Adama. D’une certaine façon, oui, on essayait d’orienter une façon de faire les choses : en normant, en répétant qu’il n’y aurait qu’une façon de donner à voir une société africaine. C’est une manière d’empêcher de donner à voir autre chose. Je pense au sujet de l’esclavage auquel je me suis confrontée ces derniers mois. J’ai été choquée de voir que ça n’intéresse pas. Je produis un film qui s’appelle Paroles de nègres sur la question de l’esclavage. Je remarque qu’on considère que ça concerne les anciennes colonies françaises, les départements d’outre-mer mais pas la France dans son ensemble. On se heurte à ça. Je crois évidemment qu’il serait malvenu d’imputer à une seule raison la difficulté de faire un projet, il y a une concordance de raisons qui vont faire qu’on n’a pas eu les financements. Pour ce film, on passe par un crowdfunding parce qu’on n’a pas eu assez de financements privés. Mais ce qui était intéressant, ce sont les rencontres que ça a apportées : avec des gens, des associations. Je pense aussi que c’est une façon de le produire qui aura une incidence sur l’exploitation du film. Le crowdfunding permet de faire exister un film avant qu’il existe, il crée des attentes parmi le public. Mais c’est effectivement violent quand on sent que dans les raisons de refus, certaines sont liées au monde tel qu’il est, aux hiérarchies telles qu’elles sont établies. Je me souviens qu’après la Permanence, j’avais été contactée par l’Institut Français qui voulait acquérir les droits du film. La personne qui m’avait téléphoné n’était pas en charge des films français mais africains. Je lui avais dit non. J’en avais parlé à Alice après, on était sur la même ligne : ce film est un film français, réalisé par une française. C’était politiquement important pour nous de le placer comme ça. Je me souviens que la dame à l’époque m’avait opposé : “c’est parce que Alice est d’origine africaine que…”. Une autre fois, en festival, une journaliste avait renvoyé Alice à son origine sénégalaise et elle avait répondu : “mais je suis une française du XXIème siècle”. J’avais trouvé cette réponse d’une justesse incroyable. On est dans un milieu qui baigne dans l’impensé. Je pense que ce qu’il se passe en ce moment sur la question de décoloniser les arts et la pensée, c’est essentiel. Pour Paroles de nègres, on s’est heurtées à des jugements de valeur qui avaient moins à voir avec le contenu du projet mais plus par rapport à la façon dont on parlait des choses ou le fait que les décideurs ne se sentaient pas concernés. Alors que la question de l’esclavage et du passé colonial de la France ne concerne pas que ceux qui l’ont subi, ça concerne la société française qui s’est construite là-dessus. Pour moi, tout est lié. J’avais lu il y a quelques années un bouquin d’Angela Davis qui s’appelait Femmes, race et classe et maintenant on peut ajouter l’écologie là-dedans…toutes ces question s’entremêlent.

La Permanence, real. Alice Diop, 2016
La Permanence, real. Alice Diop, 2016

Marie BOULIER : Le terme qu’on utilise beaucoup c’est : intersectionnalité des luttes…

 

Sophie SALBOT : Exactement… La question n’est pas de choisir car ces luttes sont très complexes et ces questions imbriquées. Il n’y a pas de tout, ni de solution globale. Il faut se coltiner cette complexité. Il y a des intellectuels en ce moment qui proposent des outils pour penser ces questions ensemble.

 

Marie BOULIER : Tu parlais du film d’Alice Diop… La metteure en scène Karima El Kharraze qui travaille beaucoup en atelier dans les banlieues parisiennes dit que parfois sortir du quartier c’est comme sortir d’un pays. Les adolescents et jeunes adultes de ces quartiers sont issus de parents arrivés en France pour que la République puisse garder la main d’œuvre perdue lors des guerres d’indépendance. Il y a donc la question de faire du cinéma dans différents pays d’Afrique – anciennes colonies françaises, mais ces questions de colonisations continuent d’infuser en France. Tu produis les films d’Alice, qui ancre ses récits dans Paris…

 

Sophie SALBOT : Les circonstances ont fait que j’ai commencé à travailler en Afrique mais effectivement ces questions se travaillent partout. Je ne sais pas si elles se travaillent plus en Afrique, d’ailleurs… il y a des lieux dans le monde qui n’en sont pas sortis encore. Qui sont ce qu’on appelle des territoires d’outre mer : ce terme dit beaucoup de choses. Je vais produire le film d’une jeune réalisatrice guadeloupéenne à Point-à-Pitre qui s’appelle L’homme-vertige. C’est une cartographie de Pointe-à-Pitre à partir de l’errance. Cette errance est le résultat de l’histoire politique, sociale et trouve ses racines dans un passé esclavagiste. Elle travaille ça de façon très belle. Pour revenir à Alice, elle fait en ce moment un film dans les territoires traversés par la ligne B du RER du nord au sud. Elle a grandi au nord de cette ligne. Elle va du connu à l’inconnu, comme tu disais : sortir de son quartier c’est sortir de son pays et c’est presque ça. Le projet de film s’appelle Nous parce qu’elle se demande : “c’est quoi cette société française faite de tout ça, de ces mondes qui se méconnaissent sur une même ligne et qui n’auront que très peu de chances de rentrer en contact les uns avec les autres ?” Nous parlions justement l’autre jour de comment représenter la banlieue, un endroit où sont agglomérés des gens issus de l’histoire coloniale de la France. Pour moi c’est essentiel mais c’est quoi faire un film là-bas ? Alice, quand elle fait ce chemin sur la ligne B du RER, elle part d’un endroit où l’on assigne les descendants de migrants, et elle en sort. Pas en conquérante mais en personne qui peut dialoguer avec le reste de la France. Elle travaille un autre imaginaire de la banlieue, et on a besoin de cet imaginaire, il y a là une responsabilité en matière de représentation. Je sais que c’est une question qui l’habite dans son travail, et je l’accompagne car elle m’habite aussi. C’est un combat politique. Elle ne travaille pas le sensationnel, elle travaille la trace, le banal, le commun. Or dans l’imaginaire commun, l’Autre ne doit pas être dans la banalité, il doit faire peur, se différencier. Tout à l’heure on parlait de la question de la représentation, avec le film qu’elle est en train de faire, on est au cœur de ça. On n’a pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour les travailler, on peut le faire partout.

 

Marie BOULIER : A propos de banalisation, je lisais ces jours-ci un texte du critique d’art François Soulages, dont je te propose un extrait : “L’artiste Diane Arbus critique la société en détypologisant les corps, en insistant sur le fait que tout corps humain est le corps singulier d’un être singulier avant d’être un corps politique ; elle met en avant et en valeur les corps des sujets : en défendant de façon respectueuse, au sens kantien du terme, leurs singularités, elle les apolitise, tout en menant une critique de notre regard qui a tendance à regarder comme des bêtes curieuses les gens différents de nous au point de nous faire participer parfois à la typologisation et à l’exclusion des personnes différentes de nous.” Je t’en parle parce que ça m’a beaucoup fait penser à ce que j’ai lu de toi, de ton rapport à ton travail : l’idée de chercher des regards, des singularités plutôt que d’opter pour un militantisme frontal. Et en même temps, ces regards racontent quelque chose de leur rapport au monde, et donc des inégalités, des travers colonialistes, du racisme, etc. Il y a quand même une volonté de ta part de travailler sur la pluralité des regards ?

 

Sophie SALBOT : Ce n’est pas un hasard si j’ai produit des films en Afrique. C’est le résultat de rencontres, et ces rencontres se sont faites via mon histoire. Mais pour moi c’est super important de dire : je ne produis pas des films en Afrique. Ce n’est pas ça. On te dit : “va, produits les tiens”. De même que je dis qu’un réalisateur occidental, blanc, peut filmer partout, et bien moi je ne suis pas cantonnée à produire des films en Afrique parce que je suis noire, je ne veux pas être réduite à ça. C’est raciser les choses. C’est important pour moi de travailler avec Alice à Paris, c’est important pour moi de porter le travail d’une jeune guadeloupéenne, de même que j’ai été ravie de travailler avec une réalisatrice, Marie Moreau, autour de la question du cancer. Au cœur de tous ces films, il y a une question politique. Moi-même, je suis multiple. Je suis femme. Mon père est Guadeloupéen, ma mère est Française, je suis tout ça. Je ne sais pas si je cherche des regards singuliers et multiples, mais je suis contente quand je les trouve. Je suis contente de la diversité de ce que je produis. Finalement ces films ont à voir les uns avec les autres à différents endroits. Ce vers quoi s’achemine Marie Moreau avec son film sur le cancer, c’est aussi la question du commun. C’est se dire que le cancer qui est souvent perçu comme intime et privé, nécessite un combat politique et social, en lien avec le regard que l’on porte sur la maladie.

 

Marie BOULIER : Eva Doumbia, qui est metteure en scène française d’origine ivoirienne et malienne parle dans l’ouvrage collectif Décolonisons les arts de ses créations qui ne sont pas uniquement déterminées par l’intention qu’elle y place, mais également par la façon dont elles sont financées.9 J’ai lu que tu travailles beaucoup avec le CNC. Est-ce que ça a des conséquences pour un réalisateur africain d’être financé par un pays qui a autrefois colonisé le sien ? Est-ce que tu penses que ça peut avoir un impact sur la façon dont il va fabriquer son film, est-ce que cela peut engendrer une forme de censure ou du moins de conditionnement ?

 

Sophie SALBOT : Les financements du sud jusqu’à récemment, étaient souvent des financements du nord d’une certaine façon, donc ça ne changeait pas grand chose. Maintenant, des petits fonds commencent à se mettre en place, dans certains pays. Effectivement, cette question est minée de partout et bien sûr, on doit se débattre avec ça. Il a été reproché à une période, je sais pas si c’est toujours le cas, à un réalisateur comme Abderrahman Sissako de faire des films pour le nord. On est financés par des institutions, la vie des films passe par des festivals internationaux qui sont des festivals du nord… Dans quelle mesure les créateurs réussissent à résister à ce qu’ils pensent qu’on attend d’eux ? Comment on fait avec ça ? Je ne sais pas. Il y a des choses qui ont changé quand même… Il y a presque 30 ans, les films se faisaient en pellicule, il y avait un passage obligé par l’Europe pour les labos, le développement : on était plus contraints. Il y avait des labos dans le sud, mais il n’y en a pas eu beaucoup. On s’est dit : avec le numérique ça va affaiblir cette dépendance au nord dans la fabrication des films. Il y a aujourd’hui moins besoin d’infrastructures lourdes en post-production. Mais on s’est rendu compte à posteriori que c’était plus complexe que ça : un film dépend des conditions financières et techniques, mais pas que. Ce n’est pas l’argent qui fait le film : c’est l’artiste. Tout ça est imbriqué. On peut imaginer que le financeur est en droit d’attendre quelque chose de toi même si ce n’est pas explicite et c’est cet implicite qui rend la chose encore plus perverse et compliquée. De toute façon, est-ce qu’il y a des situations pures ? Le cinéma est un art qui a besoin d’argent ; et cet argent vient d’où ? Si ce n’est pas d’Occident, ce sera des capitalistes du sud. Il n’y a pas de pureté mais il y a des artistes exigeants et qui arrivent à déjouer cette impureté. Cette question s’est posée aussi pour Chris Marker, Alain Resnais et Ghislain Cloquet. Les statues meurent aussi (1953, 30 min) c’est un film de commande, mais il déjoue ça. Je ne sais pas si la pureté est quelque chose à revendiquer, ou si c’est quelque chose à atteindre. Ce monde est complexe ; est artiste celui qui réussit à ne pas se laisser enfermer et à nous proposer autre chose. C’est sa force.

 

Marie BOULIER : As-tu parfois l’impression de devoir faire des films pour des distributeurs et, donc, des spectateurs européens, qui ont des attentes spécifiques ou te sens-tu libre d’accompagner les projets qui t’intéressent de la façon que tu trouves la plus opportune ?

 

Sophie SALBOT : Ce qui m’occupe quand je produis un film, c’est ce que cherche un réalisateur et comment je peux l’accompagner. Ma question est plutôt celle-ci : comment trouver l’expression de ce qu’on cherche, comment le mettre en forme. Je crois qu’il ne faut pas se poser la question du spectateur. Ca veut pas dire que le spectateur ne m’importe pas : un film qui n’est pas vu n’existe pas. Mais si un auteur est allé au bout de sa recherche, avec toutes les questions que ça pose – et éthique et de forme, les deux étant liés – il rencontrera des spectateurs. C’est ce pari que je fais à chaque fois, même si parfois on se trompe. J’avais une citation de Vinciane Despret qui disait : “l’œuvre appelle l’artiste”. Mon travail c’est d’accompagner le film en train de se chercher et de se trouver. C’est ça qui est important, c’est plutôt dans ce sens.

 

Marie BOULIER : Est-ce que tu peux me parler d’Africadoc, et de ta place dans ce dispositif ? L’association comporte une charte de coproduction équitable, que garantit-elle ? Est-ce que ce n’est pas prendre le risque de reproduire un schéma un peu paternaliste que d’envoyer des formateurs français proposer un “savoir” et des outils à des professionnels issus de pays d’Afrique ? Comment vous assurez-vous de la justesse de votre place, du recul nécessaire ?

 

Sophie SALBOT : Toutes ces questions que tu te poses, c’est le résultat d’un processus. On se les est posées, et je me les suis posées. Quand Jean-Marie Barbe me propose de faire des formations à Africadoc, je pense qu’il me le propose aussi en raison de mon parcours de productrice et de ce dont on a parlé tout à l’heure, mon histoire. Parfois j’ai eu des manifestations de ça : des jeunes femmes lors d’une résidence qu’on avait faite au Cameroun me disaient que voir une productrice, ça leur avait du bien. Parce qu’elles se disaient que c’était possible. Mais tu as raison, ces questions de qui forme, des gens du nord qui forment ce sont des questions qui ont traversé Africadoc. Elles ont été posées par des réalisateurs, des documentaristes africains. Concernant cette histoire de charte, il se trouve que l’usage quand tu co-produis un film, c’est que tu es co-producteur à hauteur des financements que tu réussis à obtenir. Dans les faits, on savait bien que les producteurs du nord auraient plus que les producteurs du sud. La charte a été faite pour contrecarrer un peu ça. On disait que le travail d’un producteur était de financer mais aussi d’accompagner et c’est ce qu’on cherchait à valoriser, ce travail au-delà de l’apport financier. Est-ce que c’est une garantie absolue d’égalité ? Absolument pas. Ce sont des outils et des gardes-fous. Mais encore une fois, je pense qu’il n’y a pas de solution idéale et que, pour chaque film, les solutions qui soient les plus intègres possibles se renégocient en permanence. En tout cas, ça a le mérite de poser la question. Et ça a poussé les producteurs français qui ne s’étaient pas questionnés et qui pouvaient arriver en territoire conquis à prendre conscience de ces enjeux. Que ce n’était pas grâce à leur talent qu’ils trouvaient cet argent, ils le trouvaient parce qu’ils étaient français. Le hasard avait fait qu’ils étaient nés sur un continent bien pourvu en matière de financements et ils ne pouvaient pas s’en prévaloir plus que de raison. Ca a permis ça. Après, les gens qui ne veulent pas se poser les questions – et il y en a – ne se les posent pas. Mais aucun outil ne garantit absolument l’intégrité.

 

Marie BOULIER : Tu as été formatrice dans différentes structures : à l’école documentaire de Lussas, à Africadoc, à l’association Varan Caraïbe. Est-ce que tu considères cela comme une extension de ta pratique de productrice ? Comment choisis-tu de transmettre ton métier, avec toutes les questions éthiques qu’il implique, à de jeunes producteurs ?

 

Sophie SALBOT : C’est quelque chose que j’ai adoré faire. Notamment quand j’allais en Afrique, avec Africadoc, ça me régénérait. Certes, je transmettais quelque chose mais ils me transmettaient en retour quelque chose qui me nourrissait. Je ne dissocie pas ces moments de formation de mon travail de production. Les deux sont importants. Mon travail de productrice est d’ailleurs impacté par ce travail de formation. Notamment parce que ça m’oblige, je crois, à réfléchir à mon travail. Avant je parlais de transmission, depuis j’utilise moins ce terme qui implique une verticalité et je dis plus – je ne crois pas être démago en disant ça : un partage, un échange. D’une certaine façon, être dans cette situation avec des jeunes gens, c’est me questionner moi-même sur mon travail. Ce que je trouve le plus exaltant, le plus intéressant, c’est qu’on réfléchit rarement à haute voix et c’est un des rares endroits qui le permette. C’est un cadeau d’avoir un auditoire, de travailler avec des jeunes gens qu’on est censé former. Je ne dispense pas de cours. Mais réfléchir à haute voix c’est se mettre en situation d’être un peu bousculée. J’ai envie que ce soit une réflexion qui se nourrisse du travail que je fais et en même temps, je pense que ma façon de travailler – parce que je l’ai confrontée à ces jeunes gens en devant la justifier, la décortiquer – m’aide à accompagner mieux dans mon travail de productrice au sens strict du terme. Ca fait d’autant plus sens que je me suis toujours dit que je ne produirai pas beaucoup. Je produis très peu de films, ça fait partie de ma façon de pratiquer ce métier là. Pour moi, ça va ensemble. J’ai plus de temps pour transmettre, être avec des jeunes gens…

 

Marie BOULIER : Une sorte d’écologie du travail ?

 

Sophie SALBOT : Oui, c’est très lié. Bien sûr, j’ai de l’expérience. J’en fais état, j’essaie de la partager, de faire en sorte qu’ils s’en saisissent et j’essaie de les questionner comme je me questionne. C’est quoi être producteur, être employeur, c’est quoi l’éthique ? J’essaie dans le travail que je fais d’avancer dans ces questions. Je ne sais pas si j’y arrive, mais j’essaie…

Notes :

1. Federico ROSSIN est historien du cinéma, critique et programmateur dans des festivals
2. Forest Claude, Produire des films : Afriques et Moyen Orient, Travailler un film après l’autre : Sophie Salbot, Presses Universitaires du Septentrion, 2018, p. 354
3. Ibid, p. 356
4. CUKIERMAN Leïla, Dambury Gerty, VERGES Françoise (dir), Décolonisons les arts !, L’Arche, 2018, p.52
5. Rencontres du cinéma documentaire, Parcours de producteur : Sophie Salbot pour Athénaïse Productions, 2014
6. PATTYNAMA Pamela, Colonial Photographs as Postcolonial Social Actors : the IWI Collection, in UNFIXED : Photography and Postcolonial Perspectives in Contemporary Art, Amsterdam, UNFIxED Projects, Heijningen, Jap Sam Books, 2012, p.127
7. CUKIERMAN Leïla, DAMBURY Gerty, VERGES Françoise (dir), Décolonisons les arts !, L’Arche, 2018, p.50
8. CUKIERMAN Leïla, Questionner l’universel, Le blog de décoloniser les arts – Mediapart, 2016
9. CUKIERMAN Leïla, DAMBURY Gerty, VERGES Françoise (dir), Décolonisons les arts !, L’Arche, 2018, pp. 32-36

% commentaires (2)

Les commentaires sont fermés.