Le voyage de l’imaginaire

Les garçons sauvages, premier long métrage de Bertrand Mandico

LA TRANSITION

Peu connu du grand public, Bertrand Mandico n’est pourtant pas un débutant. Voilà vingt ans qu’il crée des films, des courts ou des moyens métrages, toujours avec l’intention d’être libre.

Car c’est bien de liberté dont il s’agit dans Les Garçons sauvages.

Celle ci passe tout d’abord par la technique. Le son des actrices et des acteurs est post-synchronisé et le film est tourné sur pellicule. Il est question de réaliser une performance filmique et “un travail plus proche de celui d’un chimiste que d’un informaticien”, pour reprendre les mots du cinéaste. Les images captées au moment du tournage seront celles du film ; et aucun trucage ne sera rajouté en post-production. Le cinéaste refuse ainsi une certaine « linéarité » du processus de création d’un film. C’est ce retour à un savoir-faire et à une méthode peu commune dans le cinéma contemporain qui donne aux images cette force si singulière. Le film revendique la liberté de ne pas faire comme les autres, de ne pas éviter les contraintes, comme c’est trop souvent le cas, mais bien de les dépasser. Et si c’était cela le véritable travail d’un réalisateur ?

Un film transgenre

Tanguy, Sloane, Hubert et Jean-Louis, cinq garçons violents, volontiers pervers et insoumis, sont envoyés par leurs parents respectifs sur un voilier au main d’un capitaine autoritaire, qui les emmènera sur une mystérieuse île sauvage provoquant chez eux une métamorphose.

Bertrand Mandico efface la frontière des sexes, et s’accorde avec ces jeunes adolescents en transition en faisant interpréter ses personnages uniquement par des femmes, l’actrice Vimala Pons en tête. Elle qui nous transportait par son talent dans les films d’Antonin Peretjatko, autre cinéaste qui ose tout, interprète ici le rôle de Jean-Louis, le garçon le plus sauvage de la bande. Diane Rouxel interprète Hubert, elle dont les notes de guitare jouées sur le toit du palais de Tokyo dans The smell of us de Larry Clark résonnent encore en nous. Autour de ces talents que nous ne reconnaissons pas tout de suite se développe un univers très sexuel, éminemment poétique et onirique. Inclassable, à l’instar de ses personnages. Cette île sur laquelle les personnages vont évoluer est hors du temps, non répertoriée sur les cartes comme c’est dit dans le film, et peut également faire office de « passage » vers notre monde. Tous et tout y est en transition, y compris le cinéma.

C’est là le point le plus passionnant du film. Ses personnages ne sont ni hommes ni femmes en soi, bien qu’ils tendent à devenir l’un ou l’autre, et le film lui-même n’appartient à aucun genre cinématographique. Il peut être aussi drôle dans certaines de ses trouvailles esthétiques que terrible dans ses moments les plus crus, et le rapport au conte  – avec l’omniprésence de la voix off racontant l’histoire – en fait un véritable récit d’aventure. La fantasmagorie déployée renvoie au fantastique mais développe également un jeu constant et presque comique par rapport à la sexualité. Le meilleur exemple pour illustrer cette imagination débordante est cette scène dans laquelle les jeunes garçons, après avoir traversés la jungle de l’île les yeux bandés, doivent attendre le capitaine du voilier à un endroit précis. A cet endroit se trouve un arbre qui donne à boire un étrange liquide, et rappelle la sève de l’arbre de vie à la fin de The Fountain de Darren Aronofsky. Un premier garçon goûte le breuvage et trouve cela délicieux. Un deuxième puis un troisième se mettent à un autre endroit de l’arbre et font de même. Enfin, un quatrième se baisse légèrement pour boire à son tour, et c’est à ce moment que la caméra nous laisse voir l’ensemble de l’action : quatre garçons buvant le liquide s’écoulant de l’arbre, dont l’un donne l’impression qu’il fait une fellation à un autre. L’image peut paraître simpliste et faussement subversive à certains, vulgaire à d’autres, mais aussi simplement inventive et déroutante. Devons-nous rire ? Etre excité ? Peut être l’un ou l’autre, ou les deux à la fois. Le film recueille des sensations qui se mêlent et s’entremêlent.

Grave sorti l’année dernière, cherchait déjà à travailler la question du corps en créant une atmosphère organique. La différence est que le film de Julia Ducournau avait un aspect métallique : son image était froide bien qu’elle possède des couleurs chaudes, et le but recherché n’était atteint que par instants. Les garçons sauvages est constant dans son mystère, qui s’étend jusque dans son propos.

Si le thème de la transition est indéniablement central dans le travail du cinéaste, tant ses travaux précédents en sont marqués, il n’est pas le point final du film. Serait-ce un film féministe, défendant que le monde serait plus beau s’il n’y avait que des femmes ? Bertrand Mandico répond prudemment par la négation, mais souligne également que “féminiser ne fait pas de mal”. Il y a un véritable combat de sa part pour offrir aux actrices des rôles différents que ceux proposés généralement. Ici, la femme, si tant est qu’elle existe, n’est pas réduite à sa beauté purement plastique. Au contraire, il y a une recherche de la féminité chez l’homme et inversement dans un jeu constant avec la sexualité des protagonistes. En cela, une véritable égalité des sexes est créée.

Au premier abord, certains seraient tentés de voir dans le film de la perversité malsaine, sorte de délire égocentrique d’un cinéaste exprimant ses fantasmes à travers ces personnages. Mais, là encore, il y a un mélange des genres puisque l’érotisme indéniable de ce film n’empêche pas que la violence des hommes soit dénoncée à travers ces garçons qui ne respectent qu’eux mêmes. Car ce ne sont pas des Hommes sauvages mais bien des garçons. Etant encore des adolescents, ils sont en proie à la découverte de leurs corps et de pulsions, ce que le film tend à restituer par le biais d’un personnage particulier, nommé Trevor, sorte d’entité conceptuelle symbolisée par une tête de mort qui personnifie la violence de ces jeunes garçons. Le spectateur qui y voit de la perversité gratuite ne doit pas négliger ce point ni oublier son adolescence.

L’art de la référence

Si le genre du film est multiple, son image, elle, est double. Oscillant entre un noir et blanc travaillé à la façon de Guy Maddin – pour Ulysse souviens-toi notamment – et des envolées de couleurs totalement sidérantes, cette image donne à elle seule un rythme au film puisqu’elle permet de raconter plusieurs histoires. Les passages en couleurs peuvent faire ressortir des détails, tandis que le noir et blanc entretient l’ésotérisme. Les effets du film se décèlent facilement, mais le réalisateur parvient cependant à faire ressortir une part de mystère. Nous sommes conscient que nous sommes devant un film, mais l’illusion demeure. Lorsque, dans un passage en couleur, un personnage de l’île montre ses bagues qui brillent de plusieurs couleurs et fixe la caméra, le film interroge l’illusion cinématographique. Le regard nous fixe ; nous sommes face à un film. Les couleurs jaillissent des bagues et nous nous perdons dans cette illusion.

Le cinéma de Bertrand Mandico est aussi très référencé. Le cinéaste a déclaré à Libération que les citations et clins d’oeil étaient là “pour que ceux qui connaissent reconnaissent et que ceux qui ne connaissent pas aient envie de découvrir ces univers derrière le mien”. Le film est ainsi hybride, mélangeant des références déjà anciennes tout en gardant une part de contemporain. Il y a ce titre, d’abord, qui renvoie à l’oeuvre littéraire du même nom de William S. Burroughs, et dont de courts passages ont inspiré le cinéaste. La référence à Jules Verne du côté de l’aventure est également revendiquée. Il y a, aussi, un rapport au cinéma muet dans les surimpressions et le travail de l’illusion cinématographique qui fait penser à Méliès.

Puis viennent des moments où les références sont plus inhabituelles, comme ce travail sur la couleur qui rappelle celui de Kenneth Anger avec Scorpio Rising, ou de Fassbinder avec Querelle. Ce dernier est une véritable source d’inspiration pour Bertrand Mandico, qui reprend à Querelle son décor baroque au soleil couchant ainsi que son exploration des rapports entre sexualité, liberté et violence. Bertrand Mandico admire également le cinéaste polonais Walerian Borowczyk auquel il a rendu hommage dans Boro in the Box en 2011, et dont il reprend la méthode en alternant scènes explicites et sous-entendus.

Le film apparaît ainsi comme un mutant plein de vie, sorti d’un univers qui ne se cache pas derrière une multitude de références mais transforme celles-ci, toujours en liberté, et si le film ne réinvente rien c’est simplement parce qu’il ré-imagine les différents genres cinématographiques auquel il appartient.

À propos
Affiche du film ""

Les garçons sauvages

Réalisateur
Bertrand Mandico
Durée
1 h 50 min
Date de sortie
28 février 2018
Genres
Aventure
Résumé
Début du vingtième siècle, cinq adolescents de bonne famille épris de liberté commettent un crime sauvage. Ils sont repris en main par le Capitaine, le temps d'une croisière répressive sur un voilier. Les garçons se mutinent. Ils échouent sur une île sauvage où se mêlent plaisir et végétation luxuriante. La métamorphose peut commencer…
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