Denis Villeneuve s’égare. Lui qui, depuis Incendies (2010), a fait son entrée dans la cour des cinéastes qui comptent, ne peut que décevoir avec cette reprise maigrichonne de Blade Runner, film de Ridley Scott sorti en 1982, film culte, considéré par certains comme un chef-d’œuvre de la science-fiction.
La version 2017, intitulée Blade Runner 2049, reprend l’histoire trente ans plus tard. La société s’est radicalisée, les anciens réplicants, robots humanisés, sont à présent pourchassés, comme ils l’étaient déjà dans l’ancienne version. L’histoire se répète. Ici, rien d’original. Alors comment fait-on pour remplir un film d’une durée qui n’en finit pas : 2h44 ?
Première piste, on entoure cette version futuriste d’un monde apocalyptique d’une aura de mystère abyssal. Le brouillard recouvre l’espace ambiant. Plusieurs tsunamis, catastrophes nucléaires, sont déjà passés par là. Les habitants, dont ces réplicants rebelles qui se terrent, fugitifs, dans des serres et abris de fortune pour échapper à la menace constante de l’ordre établi, sont des fantômes dans ce décor crépusculaire. Alors que le Los Angeles de 2019 grouillait de personnages aux tenues extravagantes à l’esthétique cyberpunk, le L.A. de 2049 est bien fade : les couleurs se sont ternies, les rues désertifiées, laissant place à d’immenses hologrammes aux poses aguicheuses.
Parmi ces êtres esseulés, de nouveaux blade runners, dont l’officier K. joué par un Ryan Gosling plus opaque que le brouillard dans lequel il apparait, sont chargés de retrouver et d’éliminer les réplicants fugitifs. K. est la version high tech du réplicant. C’est un Nexus 9. Il bosse pour le Los Angeles Police Department et sait qu’il n’est pas humain, mais va quand même se permettre d’en douter au cours de l’histoire.
Deuxième piste donc, on inflige au héros une hypothétique quête identitaire, bien souvent inhérente au genre. La découverte par K. d’un ridicule petit cheval en bois enterré près du dernier arbre sur terre va raviver ses faux souvenirs d’enfance. Ce sera le point de départ de la recherche de celui qu’il pense être son père, le fameux Deckard qu’il finira par trouver reclus lui aussi dans un immeuble abandonné et piégé de Las Vegas.
Après l’épisode 7 de Star Wars il y a deux ans, où l’on retrouvait, exilé, un Luke Skywalker grisonnant et fatigué, la même chose aujourd’hui se reproduit pour Harrison « Deckard », et révèle une fois de plus l’impasse dans laquelle glisse lentement mais surement l’industrie hollywoodienne, à savoir l’incapacité à se renouveler, qui s’accompagne d’une nostalgie déprimante pour ses héros à la gloire passée que nul scénario original n’arrive à faire oublier.
Denis Villeneuve aurait pu se concentrer davantage sur le présent et accorder plus d’importance à ses personnages secondaires. Ils sont ici insignifiants, voir même caricaturaux, telle Luv, la réplicante bad girl de la multinationale Wallace, qui elle, pour le coup, n’a rien d’humain, pas la moindre petite émotion ni sensation. C’est un robot, et elle agit comme tel. Depuis Robocop ou Terminator, il y a plus de trente ans, aucun progrès dans la psychologie de ces personnages. On constate au contraire une nette dégradation et un intérêt trop mince pour ces humains robotisés ou robots humanisés, « more human than human » dixit feu Dr Tyrell, l’inventeur de ces réplicants qui le tuent dans le premier épisode.
Seule consolation, l’histoire d’amour de K. et de Joi, sa petite amie hologramme, produit de la Wallace Corporation. Leur histoire est simple mais belle, autant que l’était celle de Deckard et de Rachael d’une manière différente. Lorsque K. et Joi font appel à une tierce personne pour avoir un rapport sexuel, l’humaine ne sert plus que d’intermédiaire. Enfin, Villeneuve fait preuve d’originalité, ancre son histoire dans le présent (la scène pourrait faire écho au débat contemporain sur la Gestation Pour Autrui), et ne fait plus référence à un modèle, dont il réussit, le temps d’une scène, à s’affranchir. Seul l’amour subsiste et permet les miracles : un coït entre une hologramme et un humain, une réplicante qui donne naissance à un être doté du don d’imaginer les rêves qui seront transposés dans l’esprit des réplicants nouvelle génération, pour leur donner ce sentiment d’humanité. Dans toute cette laideur, surgissent alors quelques sensations éprouvées à la vue de Premier Contact, précédent film de Villeneuve et premier essai réussi de SF.
À la fin du film, deux questions subsistent cependant : Pourquoi Denis Villeneuve a-t-il accepté de réaliser ce film ? Est-il devenu, comme ces blade runners, rien d’autre qu’un « exécutant » ? (Pour reprendre les mots de Steven Soderbergh dans son itw à Télérama du 28 octobre 2017 : « [Les responsables des studios] sont sous pression, ils ont le sentiment que le public ne veut surtout pas être surpris, qu’il veut qu’on lui raconte des histoires qu’il connaît déjà. Par conséquent, ils se méfient des auteurs, ils veulent des exécutants »). On apprend que le réalisateur canadien va bientôt donner sa version de Dune et on se permet de craindre le pire. Espérons toutefois qu’il ne se laissera pas griser par ce succès bien plus financier qu’artistique, et aura le courage de ne pas céder au chant des sirènes d’Hollywood pour revenir à des projets autrement plus personnels comme l’étaient Incendies ou Prisoners.