Un jour sans fin

The Third Day, Dennis Kelly et Felix Barrett (2020)

La mini-série The Third Day, de Dennis Kelly (créateur d’Utopia), navigue entre deux eaux, dans un curieux exercice d’équilibriste qui fascine autant qu’il peut agacer. De ces six épisodes ressort l’envie de proposer un concept scénaristique, concept loin d’être inintéressant, mais qui reste à questionner. 

L’action prend place en terres anglaises avec le personnage de Sam (Jude Law, visiblement très impliqué dans son rôle), égaré en forêt. Il y fait la rencontre d’une jeune fille nommée Epona, qui tente de se suicider par pendaison, amenant notre héros à lui porter secours et, par la suite, à la ramener chez elle. Ici se fait le premier point de bascule du récit : Sam atterrissant sur l’île d’Osea, lieu énigmatique par excellence, et déconnecté du continent, accessible à marée basse seulement. Le choix de ce lieu ne peut que nous rappeler Lost, la création de Damon Lindelof et J.J. Abrams. Qui s’est déjà perdu sur l’île des survivants du vol Océanic 815 sait le nombre de possibilités scénaristiques, de mystères et d’enjeux dramatiques qu’offre un tel espace. Il semble d’ailleurs évident que Dennis Kelly s’en soit inspiré, Sam étant en proie à des visions étranges dès le premier épisode à l’instar des personnages lostiens. En arrivant sur l’île, Sam fait la connaissance des habitants locaux qui paraissent non seulement inquiétants mais illuminés : ils sont convaincus que ce havre de paix est supérieur au monde entier, et pratiquent une étonnante religion aux allures macabres. Cet élément entraîne la deuxième bascule du récit, puisqu’il permet d’introduire le personnage de Jess, une universitaire venue assister au traditionnel festival annuel d’Osea, exceptionnellement ouvert au public extérieur pour cette année.

La volonté de Dennis Kelly est d’installer son personnage et sa création dans une atmosphère et une esthétique surdramatisées, où règnent la peur et la paranoïa. Dès les premières images, les gros plans sur les visages sont légions et se trouvent complétés par des contrastes de couleurs plus que marqués, permettant de mettre en valeur les nombreuses réactions de Sam (visage apeuré, larmes abondantes etc.). Le travail sur la colorimétrie de l’image frappe le spectateur, notamment dans les séquences de dialogue. Lorsque les habitants de l’île sont cadrés face caméra, nous pouvons voir très nettement l’arrière-plan, là où il reste flou pour Sam. Cette esthétique duelle se retrouve dans les nombreuses scènes en forêt, où un côté de l’image apparait en couleurs et l’autre en noir et blanc. Tous les moyens sont bons pour souligner les nombreuses différences entre les deux “mondes”, l’un calme et apaisé, l’autre, celui de Sam, brouillé, en souffrance, pour une raison bien précise que nous tairons ici. Mais cette esthétique plus que démonstrative a ses limites. Dans l’épisode 2, nous suivons une longue descente aux enfers du personnage principal après que celui-ci a consommé de l’acide. Le format de la série – les épisodes durent une heure – permet à ce trip d’être bien plus efficace que celui d’un Midsommar, mais il n’en demeure pas moins superficiel. A trop vouloir surenchérir dans les effets visuels, la série n’arrive plus véritablement à avancer, devenant plutôt parfois une usine à images étranges.

La troisième courbure

Le fameux Third Day correspond au troisième épisode, riche en révélations sur l’île et sur Sam, qui signe la fin de la première partie de la série, intitulée Summer. Le 3 octobre, HBO a diffusé un épisode spécial de douze heures (Autumn), filmé en live sur l’île, et censé faire le lien avec la deuxième partie (Winter). A partir de cette performance, la série change de trajectoire et se perd définitivement. L’intérêt de ces douze heures de live est limité, mais elles sont à saluer – en sachant que la crise sanitaire a empêché le plan initial de se faire (des spectateurs devaient venir sur place pour improviser avec les comédiens). A grand renfort d’images symboliques, ce live cherche l’épuisement de ses acteurs et spectateurs, et finit par tourner à vide malgré une fin qui offre une conclusion au personnage de Jude Law et, plus largement, à tout l’arc narratif autour du fameux festival. 

Une fois l’automne passé, la série se replie sur l’hiver. De nouveaux personnages, une mère de famille (interprétée par Naomie Harris) et ses deux enfants, mais toujours la même île. Le problème de ces trois derniers épisodes réside dans leur incapacité à se démarquer des trois premiers. Ici, la mère de famille se trouve dans la même situation que Sam, ne sachant pas ce qui se passe sur cette île mystérieuse, et prenant peur aux moindres mouvements. Même si la série se renouvelle visuellement, quitte enfin l’esthétique paranoïaque pour recoller à un certain naturalisme, le personnage et les situations dans lesquelles il est plongé peinent à intéresser. En fait, l’intérêt n’est plus du côté des protagonistes et de leurs péripéties, mais dans l’île elle-même. C’est ici que se fait l’ultime courbure du récit. Le pacte avec le spectateur est de lui faire découvrir ce lieu, ses codes et ses habitants, durant l’été puis l’automne. L’hiver se fait le contrechamp de l’île. Nous ne sommes plus dans la situation du personnage principal, puisque nous savons où est la mère de famille : le point de vue se renverse pour le spectateur, qui passe de l’autre côté du récit. Qu’importe ce qui arrive à l’héroïne, nous voulons savoir ce qui arrive à l’île qui semble en perdition. The Third Day réussit au moins ce défi : nous rattacher à un lieu, tourner autour de lui et en faire un personnage principal auquel on croit. Pour le reste, c’est un immense gâchis.

À propos
Affiche du film "The Third Day: Autumn"

The Third Day: Autumn

Réalisateur
Marc Munden, Felix Barrett
Durée
11 h 55 min
Date de sortie
3 octobre 2020
Genres
Drame, Mystère
Résumé
Aucune note