Top 2021

Le meilleur de 2021 selon nos auteurs

Sommaire :

  • 143 rue du désert
  • Julie en 12 chapitres
  • Ne jamais saupoudrer de sel pour attirer un amant potentiel
  • Les amants sacrifiés
  • « TV is beautiful », une incursion par les séries
  • Le sommet des Dieux

Top de l’auteur :

  1. First Cow, Kelly Reichardt
  2. 143 rue du désert, Hassen Ferhani
  3. Drive my car, Ryusuke Hamaguchi
  4. Les amants sacrifiés, Kiyoshi Kurosawa
  5. Memoria, Apichatpong Weerasethakul
143 rue du désert, Hassen Ferhani

« La mémoire est ton ultime demeure
Mais tu ne peux l’y habiter
Qu’avec un corps devenu lui-même mémoire. »

Adonis

 

Filmer les déserts, leurs identités, vouloir écrire leurs identités semble être un passage, une traversée que doivent effectuer les cinéastes. Nombreux sont ceux qui ont posé leur caméra dans ces territoires arides pour dialoguer avec le sable et la roche. Antonioni avec Zabriskie Point (1970), Herzog avec Fata Morgana (1971) ou encore Gus Van Sant avec Gerry (2002) pour ne nommer qu’eux. Plus récemment encore, le désert, et particulièrement le Sahara, compose un paysage cinématographique récurrent. Omar Sidi-Boumediene nous proposait en 2020 Abou Leila, un film de fiction se déroulant dans le sud de l’Algérie tandis que cette année, c’est Hassen Ferhani qui nous livre 143 Rue du Désert, un documentaire ayant ce même espace pour décor.

Malika vit dans un petit habitat isolé, le long de la Route Nationale 1 qui traverse l’Algérie du Nord au Sud, une femme solitaire qui tient un des rares lieux de réapprovisionnement qui existe encore dans le désert. Avec ce nouveau documentaire, Ferhani nous livre le récit d’une femme, d’un territoire en mutation, d’un état du monde qui file, pressé par le temps qui s’enfuit et la nécessité de filmer ce qui passe.

La caméra est souvent posée sur pied, tout comme le regard de Malika qui se pose sur le désert et les hommes et femmes qui le traversent. Ce petit café semble être un point où convergent toutes les boussoles du monde. Le film vient traverser des territoires, de la Kabylie à la Pologne en passant par la Syrie, une traversée qui est permise par les regards et les rencontres entre un cinéaste et les nombreux voyageurs. Un geste posé, juste le temps d’un café et le temps d’écouter les récits. Si une adresse nous est donnée, il semble difficile de situer le lieu du film où se croisent des routiers venant d’Alger, d’Adrar Mansoura ou de Timimoun. De la même manière, il semble difficile de situer Malika au sein de l’Histoire dans la mesure où elle la traverse, ainsi qu’elle traverse les histoires de ses clients et amis. À plusieurs reprises certains hommes font référence au vide qu’elle occupe et qu’elle habite : « Si tu pars, l’endroit sera déserté » lui dit un voyageur, comme si finalement il n’était pas encore question d’un désert, mais d’un désert à venir. Les différentes rencontres du film nous laissent à l’écoute de ce vide, et Malika est désignée comme étant « la gardienne du vide ». Finalement, pourrait-il y avoir dans ces dunes un fragment d’humanité enseveli que Malika – reine en arabe – s’est chargée de garder, de protéger ?

Alors que le film avance dans sa durée, la transformation du paysage est en route. Une nouvelle station-service doit ouvrir tandis que le forage d’un puits a débuté plus haut sur la nationale. Les accidents se multiplient et le discours de Boumédiène entendu à travers le téléphone d’un routier au début du film résonne jusqu’à ce 143. Pourtant, alors que le dernier plan s’ouvre de nuit sur cette station-service qui s’illumine au loin, les derniers véhicules s’arrêtent à l’auberge de Malika.

Le film est chargé d’un certain mysticisme qu’il est difficile de mettre de côté. Les références à Dieu sont nombreuses, et Malika porte un jugement sur les « hypocrites » et les  « menteurs » en pèlerinage qui méprisent les femmes comme elle. Or, elle s’empare d’un rôle qui reflète celui du passeur auquel les voyageurs laissent une pièce – quelques dinars – pour traverser le désert et ses nombreuses tempêtes. 143 Rue du Désert, renommé Le Royaume de Malika, est un film de la traversée, celle du temps, de l’espace. Une traversée sous les regards, ceux d’un cinéaste et d’une femme bannie d’entre les siens, devenue protectrice des voyageurs du sable qui lui demandent de résister « Résiste. Résiste jusqu’à ce que tu reprennes ta place. »

Kieran Puillandre

Top films de l’auteur :

  1. Drive my car, Ryusuke Hamaguchi
  2. Madres Paralelas, Pedro Almodovar
  3. Julie en 12 chapitres, Joachim Trier
  4. Tre piani, Nanni Moretti
  5. The French Dispatch, Wes Anderson

Top courts-métrages : 

  1. Le Sang de la veine, Martin Jauvat
  2. Cuetos de humo, Théo Zachmann et Nataly Camacho-Mariño
  3. Aline, Simon Guélat
Julie en 12 chapitres, Joachim Trier

Julie vient de quitter le vernissage où sont exposées des planches de son compagnon, auteur de bandes-dessinées subversives. La frénésie rythmique, sonore, musicale qui gouvernait le prologue (la musique est quelquefois trop présente), et le malaise prégnant du premier chapitre laissent place, au chapitre deux, à un calme apaisant. Un panoramique tourne lentement autour de l’héroïne. Le ciel de la fin de journée est d’un bleu cristallin, magnifique et surnaturel. Un silence nouveau et précieux s’est installé dans le récit. Le silence imparfait mais sincère du dehors, de l’instant présent. La sincérité est vraiment ce qui semble le mieux définir le film de Joachim Trier. Les sourires et les regards échangés semblent en déborder, tout en étant le fruit d’une grande précision en termes de jeu. Renate Reinsve (Julie) peut ainsi perdre ou gagner dix ans en un plissement de paupières (venant complexifier les thèmes du passage à la trentaine et du temps qui passe). Herbert Nordrum (Irving) a des faux airs d’un Adam Driver qui aurait retrouvé la liberté décontractée qui le caractérisait dans Paterson de Jim Jarmusch (2016). Anders Danielsen Lie (Aksel) fascine par sa capacité à transcrire les fragilités d’un homme quelque peu dépassé par les changements de paradigmes sociétaux ayant commencé à advenir après #Metoo. Le trio principal déploie des trésors d’interprétation tout au long du film. Enfin, le réalisateur manie la digression onirique avec justesse. Les séquences fantasmées par Julie n’excèdent jamais la durée adéquate, justifiant leur présence dans le déroulé des évènements. Elles constituent des sortes d’exégèses psychiques personnelles de la protagoniste (mises en images des processus cathartiques nécessaires à l’évacuation de ses doutes et de ses inhibitions). Ces délires réagencent aussi le rapport au réel, au temps et au film lui-même, en mettant ces éléments en tension : Julie influe, par son humeur, sur tout ce qui l’entoure, l’accord entre son état d’esprit et l’univers filmique est presque parfait. Si bien que le réel est toujours en mesure de se muer en rêve. Mais la transition de l’un à l’autre reste heureusement ponctuelle, évitant à l’histoire de se transformer en un bête catalogue de fantasmagories décousues entre elles. En somme, Julie (en 12 chapitres) est un film aussi libre que son héroïne.

Etienne de Rivaz

Top films de l’auteur :

  1. Summertime, Carlos Lopez Estrada
  2. Hold me tight, court-métrage
  3. La fièvre de Petrov, Kirill Serebrennikov
  4. Ne jamais saupoudrer de sel pour attirer un amant potentiel, Jethro Massey
  5. Malcom et Marie, Sam Levinson

Top pièces de théatre :

  1. Ruines – Sylvère Lamotte, compagnie Lamento (TMG)
  2. 1336 (parole de Fralibs) – Philippe Durand (Itinérant)
  3. La vie de Galilée – Bertolt Brecht, Claudia Stavisky
Ne jamais saupoudrer de sel pour attirer un amant potentiel, Jethro Massey

Nous mettre du sel aux yeux

Ne jamais saupoudrer de sel pour attirer un amant potentiel.
Partir d’un axiome absurde pour création d’un top 4.
Ne jamais appeler l’amoureux Yves.
Appeler l’amoureux Bobby.
Ne jamais faire parler Bobby.
Garder Bobby dans le silence.
Ne jamais appeler l’amoureuse Sophie.
Appeler l’amoureuse Francesca.
Garder Francesca dans le silence.
Francesca aime la musique et les équations mathématiques complexes, elle aime aussi Bobby.
Bobby aime le sel.
Ne jamais comprendre un mot d’italien.
Tourner Ne jamais saupoudrer de sel pour attirer un amant potentiel en Italie.
N’utiliser que les gestes.
Incarner la parole amoureuse dans les corps de Francesca et Bobby.
Garder la bouche fermée, laisser la parole aux visages.
Faire un film en italien sans utiliser l’italien.
Ne jamais omettre le geste d’un étranger en pays inconnu.
Parler de séduction.
Construire l’avant, montrer le pendant et conclure dans l’après.
Ne pas dépasser 7 minutes.
Transformer la plage en théâtre muet.
Y saupoudrer du sel.
Rendre la séduction mécanique.
Donner de la tendresse aux stratagèmes.
Y saupoudrer du sel.
Nous mettre du sel aux yeux.
Laisser vaquer nos oreilles aux rythmes des marées amoureuses.
Ne jamais saupoudrer de sel pour attirer un Bobby potentiel.

Alicia Galisson

Top de l’auteur : 

  1. Drive my car, Ryusuke Hamaguchi
  2. First Cow, Kelly Reichardt
  3. Memoria, Apichatpong Weerasethakul
  4. Tre piani, Nanni Moretti
  5. Les amants sacrifiés, Kiyoshi Kurosawa
  6. Succession (saison 3), Jesse Armstrong
  7. Emily is away <3, Kyle Seeley (jeu vidéo)
  8. La traversée, Florence Miailhe
  9. Annette, Leos Carax
  10. Godard à Mediapart
Les amants sacrifiés, Kiyoshi Kurosawa / Emily is away <3

Dans Les amants sacrifiés, Kiyoshi Kurosawa met toute son expérience de l’horreur et du fantastique au service du suspense. Le cinéaste et son scénariste – Ryusuke Hamaguchi, réalisateur de Drive my car qui fut son élève – inscrivent le film sous le signe du retour. Yusaku et Satoko vivent leur amour sans se préoccuper de la tension latente entre l’Occident et le Japon. Un jour, Yusaku revient d’un voyage et agit d’une manière étrange, amenant Satoko à s’interroger sur sa véritable nature : est-ce un espion  ? Que s’est-il passé durant ces quelques semaines d’absence  ?

Pour son premier film d’époque, Kurosawa fait un choix paradoxal en décidant de tourner en 8K. L’extrême netteté apparente des images jure ainsi avec la relation des deux protagonistes qui n’est qu’une affaire de faux-semblants, de dissimulation et de mensonges. C’est d’ailleurs ce qui frappe l’œil du spectateur dès les premières images du film tant celles-ci sont surexposées et notamment durant les séquences dans le bureau de Yusaku, un open space ouvert sur l’extérieur par de nombreuses fenêtres. Cette surexposition entraîne dès lors un trouble dans l’image, comme si un voile brumeux prenait petit à petit le dessus sur les visages – le mensonge est déjà là et le brouillard de l’Histoire fait irruption dans les intérieurs cossus où le couple se croit à l’abri. Par la suite, ce sera bien l’image qui tiendra un rôle déterminant puisque Yusaku se trouve être un cinéaste amateur. Comme souvent chez Kurosawa, nous retrouvons cette idée de l’image qui porte en elle une inquiétante étrangeté, un inquiétant mystère voire une inquiétante vérité. 

Construit comme un polar, Les amants sacrifiés n’est ni plus ni moins qu’une histoire d’amour à la solde de l’Histoire, prise en otage par le moindre événement qui pourrait faire tout basculer en un instant. Lorsque le couple marche dans une rue bondée, le regard du spectateur se surprend à véritablement observer l’image, c’est-à-dire à tenter de déceler ce qui pourrait être une source de danger pour les protagonistes. La technique de Kurosawa et l’écriture complexe de Hamaguchi réussissent leur pari, la paranoïa a intégré l’image et contamine le spectateur qui ne sait plus non seulement à qui se fier mais aussi quoi regarder. 

Et puisque nous parlons d’image et de l’idée que nous pouvons nous faire de l’autre, citons le travail de Kyle Seeley pour son jeu Emily is away <3, troisième opus de la série de jeu du même nom. Le principe est simple, le joueur est un adolescent sur un interface Facebook des années 2000 et discute avec plusieurs personnages dont deux filles : Emily et Evelyn. Au fil des chapitres et des conversations à choix multiples, le joueur crée sa propre histoire avec les différents personnages, construit ses flirts et ses relations, discute de tout et de rien, échange des musiques, des films. Un élément essentiel de la vie fait alors irruption : les personnes changent au fil des années, et nous aussi. Celle qui avait provoqué notre premier émoi amoureux peut ne plus nous connaître, les “I miss you” se trouvant remplacés par les “How are you ?”. Dans une certaine mesure, l’idée est la même que pour certains segments du film de Kurosawa, le mystère des relations humaines contamine les discussions, le trouble s’installe dans les mots et sur l’écran et nous pousse à recommencer le jeu puisque celui-ci possède plusieurs fins différentes. 

Durant quelques heures, Kyle Seeley réussit à retranscrire ce qu’est l’écriture adolescente et ses paroles qui trébuchent. Par moment, de vagues réminiscences interpellent le joueur, les images du passé surgissant dans un mouvement musical appuyé par des mots que nous ne connaissons que trop bien.

Simon Pesenti

Top de l’auteur : 

  1. The Mauritanian, Kevin Macdonald
  2. Inside, Bo Burn Ham
  3. Don’t Look Up, Adam McKay
  4. Teddy, Ludovic et Zoran Boukherma
  5. La proie d’une ombre, David Bruckner
TV is beautiful, une incursion par les séries

Avec cette épidémie qui nous a privé des salles de cinéma pendant plus de six mois, 2021 s’est avérée être une année plus propice aux séries. Dès lors, si j’aime du plus profond de mon âme de cinéphile les œuvres qui constituent mon top, je ne sais pas trop quoi en dire. Non, j’ai plutôt envie de parler de séries, de trois d’entre elles, venant de plateformes différentes et puisant dans des registres extrêmement divers. 

Il y a d’abord Them de Little Marvin, série horrifique de Prime Vidéo, réunion spectaculaire de l’horreur sociale de Jordan Peele, avec ses héros afro-américains emménageant dans un quartier blanc des années 50, et de l’horreur primitive, violente et atmosphérique d’Ari Aster, par la mise en apnée de ses spectateurs à coups d’ambiance grinçante et de spectres glaçants. Dix épisodes de malaise, de poils qui se hérissent, voire d’envie de vomir, d’une envie perverse de voir la suite, de voir jusqu’où ça peut aller. Them, c’est aussi brillant que traumatique, aussi fascinant que cauchemardesque.

Puis il y a Arcane, la déflagration animée Netflix du mois de Novembre. Développement de l’univers du jeu League of Legends, la série prend place dans la ville de Piltover, cité de prouesses scientifiques où, selon un schéma assez classique, les riches et les puissants vivent en haut, et les démunis vivent en bas, dans la cité de Zaun. Elle suit, dans ce décor aux relents steampunk, plusieurs personnages issus du jeu. On découvre alors la séparation des deux sœurs délinquantes Jinx et Vi, habitantes de Zaun, et l’ascension scientifique de Jayce, jeune ingénu de Piltover ayant révélé une nouvelle source d’énergie côtoyant la magie, l’Hextech. Arcane, c’est le travail d’orfèvre d’un petit studio d’animation français, avec ses dessins précis, sa mise en scène cinématographique où chaque angle est minutieusement calculé, et ses scènes qui sont parmi les plus marquantes de l’année. Le combat d’Ekko et Jinx dans l’épisode 7, avec son montage alternant entre passé et présent, ou l’émouvante course folle de Viktor, ou encore la scène de l’opéra, qui est pourtant un simple scène de dialogues, imprimeront à coup sûr la rétine de tout spectateur un temps soit peu investi. Arcane est un coup de génie, la plus belle déclaration d’amour que pouvait faire un éditeur de jeu vidéo à ses fans, et une première pierre de choix dans le développement de ce qui semble être un univers étendu Riot Games. 

Il y a enfin Ted Lasso, grand gagnant Apple TV des derniers Emmy Awards. Ted Lasso, c’est une bulle de positivité sur deux saisons où un coach de football américain est recruté par une équipe de football anglaise. Bonbon télévisuel sur sa première saison, Ted Lasso explore les démons de ses personnages dans la seconde, menant à un des meilleurs enchaînements d’épisodes, avec cette errance du Coach Beard dans Richmond (la ville du club) digne d’un film de Lynch, qui précède l’enterrement du père de Rebecca, où Never Gonna Give You Up de Rick Astley devient le plus bel hymne funèbre de l’année. Le bonheur passe, le temps de ces soixante minutes, non plus par le sourire ou le rire, mais par les larmes et la mélancolie. Soit une série comique très simple en apparence qui s’avère tout à fait lumineuse et qui mérite chacun de ses prix.

Lucas Martin

Top de l’auteur : 

  1. Le sommet des dieux de Patrick Imbert (France).
  2. La fièvre de Petrov de Kirill Serebrenikov (Russie).
  3. Indes galantes, de Philippe Béziat (France – documentaire).
  4. I Comete de Pascal Tagnati (Corse).
  5. Notturno de Gianfranco Rosi (Italie, Allemagne – documentaire).
  6. First Cow de Kelly Reichardt (Etats-Unis).
  7. Digger de Georgis Grigorakis (Grèce).
  8. Au Crépuscule de Sharunas Barthas (Lituanie) ex-aequo avec Les amants sacrifiés de Kiyoshi Kurosawa (Japon).
  9. Affamés de Scott Cooper (Etats-Unis).
  10. Debout les femmes de François Ruffin (France – documentaire)
Le sommet des Dieux, Patrick Imbert

Vire: un bord étroit et horizontal, pouvant aller de la largeur d’une marche à celle d’une terrasse, située au milieu d’une paroi. Les personnages du Sommet des dieux en passent du temps sur des vires.

Un protagoniste d’abord: Fukamachi, photographe alpiniste qui couvre et accompagne les expéditions des touristes. Longue focale à l’épaule, il vise depuis la face opposée un groupe de touristes qui progressent le long de l’Everest, ignorant les dangers qui les menacent alors qu’il essaye de les convaincre de redescendre, impuissant depuis sa vire.

L’autre personnage: Habu, ex-prodige de l’Alpinisme qui a connu ses heures de gloire quinze ans plus tôt, avant de disparaître suite à de mystérieux déboires. Il est notamment resté perché deux jours entiers sur une vire, immobilisé suite à une chute, avant d’être secouru.

Une fois redescendu à Katmandou dans un bar, Fukamachi est lassé des caprices des touristes; il ne prend même pas au sérieux la petite frappe qui essaye de lui vendre un appareil Kodak Vest Pocket en assurant qu’il appartenait à George Mallory et James Irvine, les deux Britanniques disparus le 8 Juin 1924 non loin du sommet de l’Everest. En sortant, Fukamachi croît reconnaître Habu, tenant dans ses mains l’appareil de Mallory, possible preuve d’un bouleversement de l’histoire de l’alpinisme…

Aussitôt, le photographe s’engouffre dans une enquête pour retrouver Habu et l’appareil. Mais l’intrigue de polar vire peu à peu à l’errance, et le passé de Habu finit par prendre le pas sur tout le reste: ses exploits, ses traumatismes, sa disparition amenant Fukamachi à lâcher progressivement son enquête pour saisir ses piolets et ses crampons. S’il veut vraiment retrouver Habu, il ne faudra pas seulement le rencontrer, mais l’explorer jusqu’aux crevasses escarpées de son âme… Ce qui ne résoudra pas pour autant l’enquête.

Loin des fantasmes mégalo des pseudo-conquérants à la Sylvain Tesson, ce que le film nous apprend, c’est ce goût paradoxal et parfois cruel qui nous voue à être traversé par une nature qui nous domine toujours; en témoigne l’évolution du regard de Fukamachi dans l’espace. D’abord l’iris d’une longue focale qui traque les touristes. Puis ses yeux mêmes voient rouge, gelés par les migraines de l’altitude : comme pour se dessaisir de l’appareil, changer d’air, changer d’yeux.

Enfin, c’est dans l’attente – plus que dans la recherche – de ceux qui ne reviennent pas que son regard commence à saisir ce qu’il y a à voir dans l’escalade: rien qu’un horizon de vide vertical.

Raphaël Giocanti