Tenter l’œuvre d’art totale

Zack Snyder’s Justice League (2021)

Il suffit d’une minute. Non, il suffit d’un plan, celui qui ouvre Zack Snyder’s Justice League, pour justifier la sortie de ce nouveau montage. On est loin du plan au téléphone portable qui ouvrait la version cinéma de 2017, avec une bande de gamins tout excités essayant d’interviewer Superman, plan qui coupait avec le sourire de ce dernier pour laisser apparaître le titre du film. Snyder, lui, nous fait revivre la mort de l’Homme du Futur, transpercé par la lance de kryptonite dans son attaque suicide pour éliminer Doomsday : plan zénithal sur le corps du héros capé, ralenti poussé à l’extrême, hurlement d’agonie accompagné d’une musique lyrique, et onde de choc qui parcourt la planète, prévenant le monde entier de la mort de son protecteur. Non, décidément on est bien loin du zombie affable, tentant désespérément d’imiter la bonhommie du MCU, auquel nous avions eu droit en salles. 

Zack Snyder’s Justice League se voudrait opéra wagnérien. Les super-héros n’y sont pas traités comme des produits issus de la culture geek et populaire, mais comme des figures fabuleuses, à l’image des personnages des grands récits de l’histoire occidentale, de la mythologie gréco-romaine aux récits de chevalerie. Batman, Superman, Wonder Woman et les autres ne sont pas des êtres humains plus ou moins augmentés avec lesquels on va déconner entre deux péripéties, non : ce sont des dieux dotés de pouvoirs qui nous dépassent, destinés à une mission qui nous dépasse. L’humour bancal et assez forcé du montage de Joss Whedon, le papa des deux premiers Avengers, est quasiment absent de cette version, à l’exception des quelques traits d’esprit parfois malvenus de Flash, seul personnage un tant soit peu comique du groupe. Le rire a difficilement sa place chez les tout-puissants. 

Flash retrouve ses lettres de noblesse

Pour accompagner ce ton dramatique, voire tragique, Snyder suresthétise chacun de ses plans par un assombrissement de la lumière, joue de manière récurrente du clair-obscur, ce qui contraste de façon radicale avec les couleurs rehaussées au point d’en devenir artificielles (dans le but de coller à l’image « marvelienne ») du montage de Whedon. Le réalisateur de Watchmen et de 300 fait de l’artificialité un atout, à grands renforts d’effets numériques et de ralentis qui font la sève de son style, s’efforce de peindre la fresque que ces héros méritent, quitte à pousser ces procédés dans leurs derniers retranchements – et rallonger de façon tout à fait accessoire certaines scènes, comme le plongeon d’Aquaman dans un océan en furie après avoir sauvé un pêcheur de la noyade, moment étendu à l’extrême pour coller au There Is A Kingdom de Nick Cave & The Bad Seeds, au point d’en devenir une séquence purement musicale, n’ayant aucun autre enjeu que d’amplifier le côté rock’n’roll du Prince des Mers. Cet alourdissement, quasi systématique dans les scènes d’introduction des différents personnages (on se serait volontiers passé d’un ralenti sur Loïs Lane en train d’acheter des cafés dans un Starbucks), confirme que Zack Snyder est un réalisateur au goût imparfait, et que lui donner une liberté totale signifie aussi de le laisser foncer tête baissée dans ses travers. Quitte à affaiblir le rythme général du film, laisser place à ses héros est ce qu’il y a de plus important pour Snyder, tant que ceux-ci peuvent imprimer de façon permanente la rétine du spectateur.

Oui : personne n’en doutait, mais Snyder aime ses personnages et leur univers du plus profond de son âme. Si sa version de Justice League dure quatre heures, c’est pour prendre le temps d’introduire l’histoire et ses protagonistes, et de les développer au maximum. Là où Whedon, avec ses réécritures et reshoots, proposait un film du point de vue de Batman, qui réunit les surhumains afin d’accomplir son plan de sauvetage de l’humanité, Snyder donne à voir une œuvre chorale, où tous les personnages principaux, héros comme antagonistes, sont égaux, se voient consacrés autant de temps. Ce nouveau montage redonne ainsi ses lettres de noblesse à Flash, qui, de héros surpuissant affecté par une tragédie familiale et sauveur de l’humanité lors du climax, avait été relégué chez Whedon au rôle comique du lâche, qu’on envoie vite fait sauver les civils pendant que les adultes se battent contre les méchants. Même chose pour Steppenwolf, la menace du film : coquille vide bêtement méchante dans la version de 2017, il est ici un serviteur banni du paradis de Darkseid (l’équivalent DC de Thanos), et la conquête de la Terre et des motherboxes est pour lui une mission sisyphienne, qu’il se donne dans l’espoir d’être à nouveau accepté par un maître qui le terrifie. Cyborg a lui aussi le droit à un développement digne de ce nom : l’explicitation de ses pouvoirs (dont le contrôle divin sur l’internet mondial) lui donne un rôle de narrateur dans la deuxième partie du film, où il explique aux autres personnages et aux spectateurs l’histoire des motherboxes et la façon dont elles fonctionnent. 

Cyborg a droit a un développement digne de ce nom
Cyborg a droit a un développement digne de ce nom

Tout est justifié dans ce script : le besoin de la réunification des héros, leurs pouvoirs, les motivations de l’antagoniste, le fonctionnement des motherboxes, la résurrection de Superman. Tout est expliqué de façon claire, s’enchaîne de façon cohérente, logique, pour nous mener à un des climax les plus impressionnants de ces dix, voire vingt dernières années : un concentré d’action survitaminée qui fait des affrontements finaux des deux derniers Avengers une bagarre d’enfants dans une cour de récréation. Des dieux se battent, et jamais nous ne pourrions prendre part à ce combat avec eux. Nous ne pouvons qu’être spectateurs de leurs exploits. 

Mais, dans sa volonté de donner à voir l’œuvre qu’il avait en tête depuis le début, Zack Snyder ajoute à son script des éléments annonçant des suites qui ne verront certainement pas le jour. Darkseid est encore invaincu à la fin du film ; seul un de ses serviteurs est éliminé. Et Martian Manhunter, membre légendaire de la ligue des Justiciers dans les comics, est introduit dans une scène où il se révèle avoir pris l’apparence de Martha Kent après une discussion avec Loïs Lane, discussion tournant autour de la question du deuil et de la mort, dont le caractère émouvant est annulé par l’apparition du Martien. Martian Manhunter est aussi présent dans la scène finale du film, une discussion avec Bruce Wayne où il annonce qu’il prendra part aux futurs combats aux côtés de la Ligue. Toujours dans cette logique, Snyder ajoute à son épilogue vingt minutes de scènes qui auraient vocation à être post-générique, qui ne sont là que pour teaser une suite, avec l’introduction de Deathstroke, célèbre ennemi de Batman, et une scène dans un futur post-apocalyptique, où Darkseid a pris le contrôle et la moitié des héros sont morts. Si bien que la satisfaction du spectateur d’avoir enfin une digne version de Justice League est entachée par une certaine frustration…

L’introduction (pas forcément utile) de Martian Manhunter

Snyder avait un plan parfait pour conclure son film : l’image de Clark Kent déboutonnant sa chemise pour laisser apparaître le S de son costume. Une image simple, que tout le monde connaît, remise au goût du jour mais gardant sa puissance symbolique. Mais, se laissant emporter par une gourmandise teintée d’une certaine hybris, Snyder passe à côté de cette fin, et l’altère en montrant l’envol de Martian Manhunter, qui rappelle de façon douloureuse l’envol de Superman concluant la version de Joss Whedon.

À propos
Affiche du film ""

Zack Snyder’s Justice League

Réalisateur
Zack Snyder
Durée
4 h 02 min
Date de sortie
18 mars 2021
Genres
Action, Aventure, Fantastique, Science Fiction
Résumé
Bruce Wayne est déterminé à faire en sorte que le sacrifice ultime de Superman ne soit pas vain. Pour cela, avec l'aide de Diana Prince, il met en place un plan pour recruter une équipe de métahumains afin de protéger le monde d'une menace apocalyptique imminente. La tâche s'avère plus difficile qu'il ne l'imaginait, car chacune des recrues doit faire face aux démons de son passé, et les surpasser, pour se rassembler et former une ligue de héros sans précédent. Désormais unis, Batman, Wonder Woman, Aquaman, Cyborg et Flash réussiront-ils à sauver la planète de Steppenwolf, DeSaad, Darkseid et de leurs terribles intentions ?
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