Qu’est-ce qui fait l’étoffe d’un Kingsman ?

The King’s Man : première mission de Matthew Vaughn (2021)

Qu’est-ce qui fait l’étoffe d’un Kingsman ?

C’est à ses manières qu’on juge un Kingsman. Ça, et à l’étoffe de son costume. Mais c’est aussi à la tache de sang sur celui-ci : l’invitation dans l’impeccable de ce que redoute la bienséance ; une sérénité aristocratique et une classe imparable, entrecoupée d’ironie bien sentie, ou de soudaines redescentes au pragmatisme violent du monde ; une coiffure et démarche millimétrées, qui dans un élan de folie soudain, sur une musique sans aucune classe classique (Lynyrd Skynyrd), perpétuent un massacre débraillé à la fois répugnant et jouissif ; un calme à toute épreuve, qui s’abandonne soudainement à une frénésie inarrêtable, un rythme vertigineux où les mouvements de caméra impossibles et insaisissables proposent à la fois la mesure inouïe de la violence et la détente comique de celle-ci. Le bigmac du gentleman.

 

Pourquoi le Kingsman ? À quoi sert-il ? À quoi répond-il ?

Il a une mission bien précise et d’une nécessité indiscutable : face à des actions à la célérité effrénée et des rebondissements incessants, face à la lubie d’un antagoniste frappé par la foudre d’un génie inquiétant (mettre en place un massacre barbare pour une raison écologique ; menacer la population d’une extermination de masse pour légaliser le cannabis et accroître les bénéfices de son commerce), le Kingsman se doit de calmer le jeu et d’apporter la paix guindée et indispensable. Quoique entrant toujours dans la cadence, le Kingsman devient, grâce à sa formation, l’unique moyen de débrayer pour éviter l’emballement maléfique du moteur scénaristique. Même s’il boîte et s’appuie sur sa canne, le Kingsman avance toujours (avec classe), car il n’a pas d’autre choix.

 

Mais alors, d’où vient le Kingsman ? Il faut bien en effet qu’il ait une origine : un lieu et moment où on l’a créé — pas son âme, pas sa personnalité, mais son institution. The King’s Man : première mission semble apporter une réponse convenable : sur fond d’Histoire (1ère guerre mondiale), une absurde et amusante coalition écossaise menace l’Europe d’une cabale de grande envergure, qui vise à annihiler l’Angleterre. Cette cabale, seul un gentleman détaché de la guerre pourrait la déjouer. Malheureusement, le complot ne prend pas, et le film n’a pas la malveillance déjantée des deux premiers : l’antagoniste principal n’a pas le charisme qu’il faudrait. Il est ridiculement caché dans l’obscurité du plateau ensoleillé du Mont-Aiguille (en un peu plus grand) : toute chance de déceler la folie maniaque dans le fond de ses yeux se voit immédiatement annihilée — puisqu’on ne peut pas le regarder dans les yeux. Ainsi, son plan absurde ne semble jamais redoutable, car trop secret. Pourtant, ce qui caractérise le travail des Kingsman n’est pas le mystère, mais plutôt l’adaptation soudaine à la surprise.

Par conséquent, y a-t-il des surprises dans ce troisième volet ? Trop peu. Le film ne cesse de s’appesantir sur les considérations pacifistes du duc d’Oxford — aristocrate ennuyeux rabâchant des valeurs qu’il abandonnera finalement. Aucun spectateur qui ne s’est pas trompé de salle ne peut croire durablement à ces exhortations, si bien que lorsqu’est fait l’aveu central (beaucoup trop tard), qui révèle l’existence d’une résistance secrète non suspectée grâce à la poker face du gentleman, nous ne sommes pas étonnés du retournement. Au contraire, on pousse un soupir soulagé car enfin, il va peut-être se passer quelque chose.

Le film contient en effet quelques accès de vitesse jouissifs, grâce à un personnage follement illuminé tel qu’on en attendait : Raspoutine. Il a en lui le charisme qui manque au grand vilain écossais, la sérénité du gentleman, ainsi qu’une célérité foudroyante qui lui permet d’affronter la majordome Shola avec violence et chorégraphie : en balançant ses pieds, dans un ballet de pirouettes et de sauts prodigieux. La surprise rejaillit lorsque l’un meurt quand on ne l’attend pas, ou qu’un autre voit son corps projeté en un éclair de rapidité, comme un pantin éjecté.

Il se profile alors quelques éléments qui permettent de tisser l’étoffe du Kingsman plus tôt définie. De cette étoffe, Raspoutine est le plus bel élément : le cashmere. Néanmoins, l’étoffe est mal ficelée : les actions retombent mollement dans l’ennui et l’attente d’une nouvelle péripétie, qui tarde à se manifester. Le Kingsman en devenir est lourd. Il ne parvient pas à détendre l’animosité du monde par sa calme ironie. Il n’a pas la rage d’avancer. Il est représenté à l’arrêt. Se morfondant par bien-pensance intempestive sur des malheurs insipides. Et c’est bien ce qui ennuie dans ce troisième volet : la prédominance tout à fait gratuite et inadaptée (pour des hommes qui doivent avaler leur sentimentalité) d’un mélo-dramatisme assis à la place de la violente vélocité et de l’humour anglais, censés primer chez les Kingsmen

À propos
Affiche du film "The King’s Man : Première Mission"

The King’s Man : première mission

Réalisateur
Matthew Vaughn
Durée
2 h 11 min
Date de sortie
22 décembre 2021
Genres
Action, Aventure, Thriller, Guerre, Mystère
Résumé
En 1902, l'aristocrate Orlando, duc d'Oxford, perd sa femme Emily lors d'une mission humanitaire en Afrique du Sud lors de la seconde guerre des Boers ; leur jeune fils Conrad assiste lui aussi à sa mort. Douze ans plus tard, le pacifiste convaincu Orlando sent qu'un conflit mondial menace. Il tente par ailleurs de dissuader son fils, âgé de 18 ans, de s'engager dans l'armée britannique. Il a imploré son grand ami, le secrétaire d'État à la Guerre Horatio Herbert Kitchener, de bloquer sa demande d'incorporation. Aidé par ses domestiques Shola et Polly, le duc a par ailleurs créé un réseau d'espionnage mondial et se renseigne sur la menace qui plane sur l'Europe. En effet, dans l'ombre, une mystérieuse organisation souhaite renverser l'ordre mondial.
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