L’ivresse de la folie

Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, Ilan Klipper (2017)

Passion, folie, littérature et extravagance : voici les maîtres mots du nouveau film d’Ilan Klipper. Après avoir conquis le public avec des documentaires plongeant au sein de la réalité policière, le réalisateur de Commissariat et Flics nous propose un vaudeville aux allures de comédie noire. Dans un quasi-huis clos ornementé d’images populaires des tréfonds d’internet se cloître un quinquagénaire en pleine crise de l’âge adulte. Il est célibataire, sans enfants, et en constante recherche de l’inspiration. Bruno est perdu et sa noyade littéraire dans la maladie de la page blanche le transforme en être asocial et dépressif.

Entre échappées « amoureuses » des rencontres sur Tinder, danse abracadabrante sur du rock en kimono, et oisiveté devant la télévision, Laurent Poitreneaux nous offre une performance subtile mais olympienne de la douce folie de l’auteur. Si le charisme de Laurent Poitreneaux a charmé le grand public, c’est son personnage d’anti-héros qui permet l’attachement particulier à un homme qu’on jurait fou. L’ancien auteur à succès semble déchu dans les limbes de sa propre imagination, délaissé par le public comme par son esprit après le succès de son roman éponyme, Le Ciel étoilé au dessus de ma tête. Il végète dans son lit tandis que Justyna (incarnée par Alma Jodorowsky), sa jeune colocataire membre des Femen, tout autant fâchée que lui contre l’industrie du textile, résiste elle aussi à l’extirpation de son monde fantasmagorique.

Mais un jour tout explose : les parents ashkénazes, l’ancienne petite amie, le meilleur ami ainsi qu’une charmante jeune femme (interprétée par Camille Chamoux) viennent bousculer l’illusion de plénitude de Bruno. Bruno se retrouve séquestré par sa famille mais ne délaisse pas son délire littéraire. A la manière d’une pièce de théâtre, Ilan Klipper fait entrer successivement ses personnages dans l’univers chaotique de son personnage égaré. Commence pour lui un procès dans son propre tribunal à domicile, procès où il doit affronter la réalité qu’il a tant essayé de fuir dans sa démence. On assiste alors à la condamnation de la création comme folie, et au déchirement entre deux mondes qui ne peuvent se comprendre. L’inquiétude conquiert le spectateur, angoissé par le parti à prendre.

Voici la force de ce film extraordinaire: sa capacité à nous faire intégrer la subjectivité de Bruno et ses idées saugrenues. Nous pénétrons dans les ruines d’un rêve, un rêve réalisable devenu imaginaire, et nous échangeons notre raison contre cet imaginaire idyllique. Astucieusement, le cinéaste inverse les polarités, créer un lieu hors de l’espace-temps où raison devient folie et folie devient raison. Dans ce capharnaüm, on aperçoit Bruno comme un funambule sur le fil de sa vie, artiste maudit qui virevolte comme un insecte autour de la lumière de l’inspiration tout en ayant peur de s’y brûler les ailes.

Le spectateur ne reste pas de marbre face aux péripéties, et devient un membre actif de l’histoire, aussi confus que l’est l’auteur de cette démence. Cette contamination par la folie littéraire éclipse la mince frontière du réel et de l’onirique. Les fantasmes de Bruno surgissent crescendo au fur et à mesure de cette contamination jusqu’à exploser en son paroxysme dans cet appartement aussi loufoque que chimérique où interviendra finalement un sauvetage noctambule.

Dans ce huis clos nous confinant dans une atmosphère claustrophobique, où l’imaginaire de Bruno est le seul échappatoire à la démence, Ilan Klipper joue astucieusement sur le fil du temps. Dans des flashs esthétiques du passé au futur, bariolés par les chimères singulières de Bruno, l’espace-temps nous semble de plus en plus confus. Cette alternance temporelle clôturera l’avant dernier-plan, où Sophie et Bruno, enivrés par leur fantaisie et leur délire, s’embrasseront comme Gérard Depardieu et Sophie Marceau dans Flics, lors d’une scène que regardait auparavant notre malade littéraire.

Ce vaudeville excentrique qui reconditionne la folie romanesque fait ainsi résonner étonnement les mots d’Emmanuel Kant, qui donnent son titre au film : « Deux choses remplissent le coeur de crainte et d’admiration, le ciel étoilé au-dessus de moi, et la loi morale en moi. »

Noémie De Meyer

À propos
Affiche du film ""

Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête

Réalisateur
Ilan Klipper
Durée
1 h 17 min
Date de sortie
23 mai 2018
Genres
Comédie
Résumé
Bruno a publié un fougueux premier roman en 1996. La presse titrait : « Il y a un avant et un après Le ciel étoilé au-dessus de ma tête ». Vingt ans plus tard, Bruno a 50 ans. Il est célibataire, il n’a pas d’enfants, et vit en colocation avec une jeune Femen. Il se lève à 14h et passe la plupart de ses journées en caleçon à la recherche de l’inspiration. Pour lui tout va bien, mais ses proches s’inquiètent...
Aucune note