L'IMPASSE

Avec Jusqu’à la Garde, Xavier Legrand
déroule son cinéma jusqu’à l’épuisement

Un syndrome traverse le cinéma. Il est récent et porte un nom : « joue-la comme Haneke ». Jugement des personnages, étalage des vices de l’humain, malaisance, violence… Comme porteurs de ce mouvement étrange, des cinéastes comme Yorgos Lanthimos et Ruben Östlund, conquérants discutables à Cannes l’an passé, ou encore Michel Franco et Andrei Zvyaguintsev, qui arrivent eux à faire la différence entre un reflet et une copie. Xavier Legrand semble avec Jusqu’à la garde s’inspirer des réflexes les plus malsains et les plus factices du cinéaste autrichien. Dans ce Haneke bis récompensé au festival de Berlin, on retrouvera esthétique réaliste et agencement voilé de la violence qui finira par exploser. Ce syndrome, qui atteint parfois des films de qualité, se pare ici d’une forme de discours consensuel sur les violences conjugales.

Déjà en 2013, dans Avant que de tout perdre, court-métrage assez rafraîchissant en forme de course-poursuite, Xavier Legrand donnait la sensation de l’urgence : il fallait fuir à toute vitesse.  Depuis le point de vue de Léa Drucker, on découvrait un couple dont la séparation, à priori violente, entraînait des répercussions terribles sur leurs enfants, mais aussi sur leurs conditions de vie. Ainsi, Jusqu’à la garde est une extension de cette première démarche : nous étions du point de vue de l’agressée face à l’agresseur, et sommes maintenant des deux côtés du couple convaincant composé par Denis Ménochet et Léa Drucker (encore elle). Mention spéciale pour l’acteur, qui porte le film à lui tout seul : Jusqu’à la garde est plus un film de Denis Ménochet que de Xavier Legrand. Que ce soit par la présence de l’acteur (mélange entre le gros nounours sensible et la gueule de gladiateur à la retraite) ou par l’utilisation du hors-champ (cette présence se ressent également hors du cadre), il y a comme un frottement et une odeur qui se dégage du personnage, jusqu’à altérer plusieurs scènes dans lesquelles il est absent. C’est à lui, plus qu’aux larmes et cris des uns et des autres, que se greffe la dimension sensible.

Le drame pour le drame

Seulement, et c’est ici la limite de la démarche de Xavier Legrand qui apparaît, cette uniformisation du discours, de la violence et même des sensibilités isole le film. Epris d’un marasme en guise de point de vue, comme en témoigne le montage absolument racoleur, Jusqu’à la garde est la quintessence du non-cinématographique, c’est-à-dire qu’il filme les choses avec une malléabilité grotesque, et les transmet à son spectateur avec une esquisse de jugement : c’est exagéré jusqu’à paraître expérimental. Le tout au prix d’une perspective (entre agresseur et agressés) qui n’a que sa dimension ultra-manichéenne comme horizon, et dont atteste symboliquement ce court-métrage de dix minutes qui ouvre le film – devant le juge, papa et maman cherchent à se partager la garde du fils, mais vont évidemment s’engueuler. Tandis que les répercussions d’un tel sujet provoquaient un élan cinématographique – la course poursuite – dans Avant que de tout perdre, Xavier Legrand fait ici des choix étonnants dont le plus bancal s’avère le choix de perspective du petit garçon (coucou Le Ruban Blanc). Et surtout, surtout, n’oublie pas de mettre ta ceinture.

Outre les allers-retours qui constituent la trajectoire autour de laquelle Xavier Legrand cherche effectivement à structurer son histoire (le va-et-vient du manichéisme), le réalisateur oublie son discours et se perd dans des situations jusqu’au-boutistes d’une gratuité sans nom. Comme souvent avec Haneke et consorts, filmer le drame est un amusement et un prétexte à l’art. Sauf que Jusqu’à la Garde n’est qu’un film aux couleurs pâles sur un sujet qui, du même coup, se retrouve lui aussi sans réelle épaisseur. Mais, pour rebondir, quoi de mieux que de constituer des scènes hors-sujet, des séquences partant dans une direction contraire au drame et ses répercussions ? Ainsi, toute la séquence avant, pendant et après la fête d’anniversaire est d’autant plus pénible qu’elle est bâtarde sur le plan stylistique (insertion d’un plan-séquence, son informe fait des cris et du brouhaha de la fête) et narratif (c’est un étonnant concentré des faiblesses du récit).

Le film de Xavier Legrand fonctionne certes dans la perspective de provoquer le malaise, mais ses faiblesses en termes d’écritures et plus encore par rapport aux répercussions morales de son histoire – pièges dont le genre du film de société doit absolument se démarquer pour mieux se réinventer (Divines, Nocturama) – font surtout état d’une vanité déplacée. S’il a peut-être bien capté l’impasse des victimes face à un tel sujet, c’est l’exemple d’un film qui bute contre ses symboles et ses intentions.

  A propos

Affiche du film ""

Jusqu’à la garde

Réalisateur
Xavier Legrand
Durée
1 h 33 min
Date de sortie
7 février 2018
Genres
Drame
Résumé
Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive.
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