Le rouge

Rumble Fish, The Outsiders et West Side Story

Rouge, c’est la couleur qui encadre et souligne la mort des personnages. C’est la couleur des poutres surplombant la mort de Bernardo (George Chakiris) et de Riff (Russ Tamblyn) dans West Side Story (1961). Ce combat devenu drame plonge le film dans une spirale de vengeance à laquelle les personnages ne peuvent échapper. La structure métallique rouge encadrant la destinée des personnages est déjà présente au début du film tel un signe chromatique avant-coureur lorsque Riff invite Tony (Richard Beymer) à la danse, rendant ainsi sa rencontre avec Maria (Natalie Wood) possible, car Tony ne serait jamais venu si Riff ne l’avait pas invité.

Rouge, c’est la couleur qui enferme les personnages. C’est la couleur des barrières du cinéma à ciel ouvert qui cloisonnent les personnages dans The Outsiders (1983). Ceux qui n’ont pas de voiture sont forcés de s’assoir derrière ces barrières s’ils souhaitent confortablement profiter du film projeté. Ils sont inconsciemment confinés dans un espace donné.

Rouge, c’est la couleur qui oppresse les personnages, elle joue le rôle de couleur de fond sur les murs de briques, sur les surfaces et sur les personnages dans West Side Story. Que les murs soient troués de fenêtres condamnées ou qu’ils soient précédés de grillages, ils sont éparpillés dans toute la ville et emprisonnent les personnages en leur sein. Ils apparaissent pour la première fois lorsque Bernardo croise Riff et le reste des Jets. Son poing s’écrase contre le mur rouge sous la colère. Il ne peut échapper au rouge des surfaces. Il essaie d’éluder ce mur dans le travelling horizontal qui suit, durant lequel des membres de son gang le rejoignent, mais il ne peut s’enfuir, il ne peut le dépasser et le travelling renforce cette impression de course futile. Un travelling semblable se trouve dans The Outsiders lorsque Pony (C. Thomas Howell), Johnny (Ralph Macchio) et Dally (Matt Dillon) déambulent dans la ville. Ils marchent eux aussi de gauche à droite, longeant les murs de briques que l’on devine rouges, continuant de tourner en rond sans pouvoir s’échapper de cette prison.

Rouge, c’est la couleur de la violence des personnages. C’est la couleur des poissons combattants de l’animalerie au début de Rumble Fish (1983) quand Rusty James (Matt Dillon) et ses amis passent en arrière-plan des aquariums. Ils y appartiennent et tournent eux aussi en rond, jusqu’à devenir fou et à s’attaquer les uns les autres. La fin de Rumble Fish donne raison au Motorcycle Boy (Mickey Rourke) : les poissons combattants ne s’affrontent pas lorsqu’ils vivent en liberté.

Rouge, c’est la couleur qui entache la vie des personnages, entraînant la souffrance. C’est la couleur de la blessure sur le dos de Bernardo dans West Side Story, la coupure sur la gorge de Pony au début de The Outsiders, la plaie sur le ventre de Rusty James dans Rumble Fish. Tout comme les blessures, le sang est une constante dans ces trois films et est suivi de très près par la mort. Il tache la vie des personnages, les brisant et les enfermant dans cette spirale éternelle de violence, de mort et de combats. C’est la couleur qui macule le visage et le torse de Dally dans The Outsiders et du Motorcycle Boy dans Rumble Fish lorsque des policiers les fusillent. Ce sont les brûlures de Johnny et les flaques devant la fontaine où il tue des membres du gang opposé dans The Outsiders. Le sang recouvre les morts dans ces films, fluide vital qui s’échappe quand tout bascule. Les personnages sont voués à s’entretuer s’ils ne sortent pas de leur bulle, de leur ville, de leur prison.

Rouge, c’est la couleur du sang se mêlant à l’eau. C’est la couleur des poissons libérés dans la rivière à la fin de Rumble Fish qui ressemblent au sang coloriant l’écran lorsque Pony se noie dans la fontaine dans The Outsiders. Dans ce plan de noyade, le sang se mélange à l’eau de la fontaine et recouvre tout le cadre, s’étalant comme du liquide sur une surface plane, comme les flaques que l’on retrouve dans les plans suivants et qui révèlent le massacre. L’image même se retrouve sous le coup des blessures.

Rouge, c’est la couleur de la dualité. On la trouve plus souvent chez les Portoricains que chez les Américains dans West Side Story. C’est la couleur de la chemise de Bernardo lorsqu’il apparaît pour la première fois à l’image et elle renforce son statut de chef de groupe en lui donnant des airs de guerrier. Tel un mauvais présage, c’est aussi la couleur du col de la veste de Chino (Jose De Vega) lorsqu’il vient annoncer à Maria la mort de son frère. C’est la couleur surtout portée par les femmes et accompagnant Maria en teintant progressivement ses vêtements comme pour symboliser son amour grandissant pour Tony : ses chaussures sont rouges lors de sa première apparition à l’écran, puis un ruban rouge entourant sa robe blanche de danse est révélé lorsqu’elle l’enfile et enfin, elle porte une robe entièrement rouge lors de la séquence finale du film, comme si le rouge l’avait enveloppée. Pour Maria, le rouge représente à la fois l’amour et le danger.

Rouge, c’est la couleur qui annonce le danger, c’est la couleur de la lumière. Les gyrophares des voitures de police intervenant à plusieurs reprises dans West Side Story, The Outsiders et Rumble Fish projettent une lumière rouge dans les rues qui renforce cette atmosphère étouffante et l’impression que quelque chose est sur le point d’éclater. Cette lumière rouge revient dans différents contextes. Dans West Side Story, elle apparaît une première fois de façon presque onirique en guise de transition entre la séquence de préparation pour la danse et la danse elle-même. Elle recouvre violemment l’écran en laissant paraître de vagues silhouettes de danseurs. Une lumière semblable est de nouveau présente lorsque Tony rend visite à Maria après avoir tué son frère. La lumière glisse sur les murs derrière les amants, trahissant leur passion tout en renforçant l’impression de danger qui plane plus que jamais au-dessus de leurs têtes. Dans The Outsiders, le bar où se trouve Dally lorsque Pony et Johnny viennent lui demander de l’aide baigne dans une lumière rouge. Bien que plus orangée, on retrouve ce type de lumière dangereuse lors de l’incendie dans l’église quand les personnages sont en train de sauver les enfants pris au piège à l’intérieur et que Johnny est blessé.

Rouge, c’est la couleur de l’amour et de la colère. C’est la couleur des murs de la salle de danse où les Jets et les Sharks s’affrontent sur la piste, tandis que nait l’amour entre Tony et Maria. Pendant que les uns sont cloîtrés dans leur haine et colère envers l’autre groupe, les deux amoureux sont isolés par leur attirance, le reste du monde devient flou et presque silencieux. En tombant amoureux dans cette salle de danse, ils scellent leur histoire, car leur amour finira par les détruire comme Roméo et Juliette. C’est la teinte du ciel dans la séquence suivante celle de la salle de danse dans West Side Story. La fête est finie et chacun part de son côté, Tony marche dans les rues de New York en chantant son amour pour Maria. Le mur du fond se dissout dans un fondu et devient ciel tandis que les murs encadrant Tony se transforment en bâtiments dans la rue, intensifiant l’euphorie amoureuse du personnage qui semble avoir oublié le monde autour de lui maintenant qu’il a rencontré l’amour de sa vie. Ce rouge passionnel du ciel sous-entend que Tony pourrait avoir un futur heureux avec Maria.

Rouge, c’est la couleur de la protection. Le couteau de Bernardo dans West Side Story est maculé de rouge, comme celui de Johnny dans The Outsiders. Ces deux séquences de violence, tout comme la destinée des deux personnages, sont similaires puisque les deux jeunes hommes meurent en protégeant d’autres : Bernardo souhaitait protéger sa sœur de Tony et Johnny souhaitait sauver Pony de la noyade avant de vouloir sauver les enfants de l’église en flammes. Ils ne connaissent que la force et la violence pour protéger les leurs.

Rouge, c’est la couleur d’une salvation potentielle. C’est la couleur des voitures qui circulent dans West Side Story et dans The Outsiders, moyen de transport que les personnages pourraient prendre pour quitter la ville, pour sortir de leur mode de vie violent qui les mènera à leur perte. C’est dans une voiture rouge que Dally récupère Pony et Johnny à l’église dans The Outsiders, apparaissant ainsi comme une figure salvatrice contrairement aux frères de Pony qui ne font rien alors qu’ils sont censés le protéger. C’est la couleur du trottoir devant l’école à la fin de The Outsiders. Cette séquence montre Pony sortant de cours et son professeur lui donnant une deuxième chance. Le trottoir rouge, véritable ligne de fuite attirant le regard vers le bas du cadre, agit ainsi comme une ligne de secours, l’échappatoire offerte à Pony pour s’en sortir, pour ne pas avoir la même destinée tragique que Johnny ou Dally.

Sylvie Gorak

À propos
Affiche du film ""

Rumble Fish

Réalisateur
Francis Ford Coppola
Durée
1 h 34 min
Date de sortie
20 octobre 1983
Genres
Action, Crime, Drame
Résumé
Tulsa, Oklahoma. Petite frappe locale, Rusty James rêve d’égaler les exploits de son grand frère, le Motorcycle Boy, légendaire chef de bande qui a choisi de s’éclipser. En son absence, pour être à la hauteur de sa réputation et se tailler la part du lion, Rusty se frotte aux gangs rivaux… Un soir, une rixe tourne mal. Le voyou est gravement blessé et ne doit son salut qu’à l’intervention inattendue de son aîné. Mystérieux et charismatique, le Motorcycle Boy est de retour chez lui…
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