La beauté de l’intérêt

Jane Campion, la femme cinéma
de Julie Bertuccelli
&
Romy, femme libre
de Lucie Cariès

Cannes Classics

« Avec Romy Schneider, ça commence toujours comme ça : toujours par sa beauté. »

Jane Campion, elle, suscite l’intérêt.

Cannes Classics met ces deux femmes sous le feu de ses projecteurs. Dès les premières secondes, l’une est une actrice, un objet de désir dont la voix peine à traverser l’étalage de plans rapprochés sur sa beauté légendaire, l’autre est une réalisatrice, une anomalie qui attire les regards étonnés. Sous des intitulés mélioratifs, les deux documentaires s’essaient à la rétrospective « féministe ». L’un y parvient subtilement, l’autre s’emmêle les pinceaux entre ode à une femme stéréotypée et article de Voici à rallonge.

Jane Campion, la femme cinéma dépeint le génie d’une réalisatrice qui se débat dans un monde machiste.

La Romy de Romy Schneider, femme libre flirte, se marie, divorce et est belle, tellement belle « qu’on n’en revient toujours pas ».

Sur la scène du palais des festivals de la soixantième édition du Festival de Cannes, 35 réalisateurs encerclent Jane Campion. Une image frappante avec laquelle Julie Bertuccelli ouvre son film. Campion attire l’attention, comme une sorte de dysfonctionnement dans les rouages misogynes du rassemblement cannois. Les femmes cinéastes existent, elles n’ont juste visiblement pas d’intérêt aux yeux de cette institution. Trop évidente pour ne pas marquer les esprits, c’est la présence de Jane Campion qui dérange et non celle de Polanski assis juste derrière. Cette image provoque quelques blagues gênées de la part du maître de cérémonie, un naïf « Qu’est ce que ça fait d’être la seule femme présente ce soir ? » et une hilarité générale bien loin de la moindre remise en question.

Romy n’est plus simplement belle, elle est aussi photogénique ! Un véritable don qu’elle doit aux merveilles de la génétique et à ses superbes parents, eux-mêmes acteurs.

La première séquence pointe du doigt les dérives machistes de Cannes, la seconde expose les difficultés de Jane Campion face à la haine sexiste de certains techniciens, puis Julie Bertuccelli se détourne de ces évidences pour nous parler cinéma. Comment mieux contourner les clichés misogynes qu’en écoutant la voix de Campion portée par ses films. Un ange à ma table, La leçon de piano, Portrait de femme, Bright Star : autant d’œuvres explorées par le documentaire, qui posent les questions de la place de la femme et du romantisme, et développent une complexité à mille lieux de simples entretiens orientés.

Romy est interviewée par une majorité d’hommes. Monologues sur monologues, la jeune actrice n’a plus qu’à consentir aux mots masculins mis de force dans sa bouche.

C’est la voix de Jane Campion elle-même qui nous accompagne dans son œuvre. Le documentaire ne faisant pas le choix d’une voix off rajoutée, aucun intermédiaire ne s’immisce entre la cinéaste-anthropologue et le regard qu’elle pose dans ses films. De l’émotion très partagée de sa palme d’or aux rires amusés face à la mauvaise presse de In the Cut, Jane Campion construit elle-même la profondeur de son portrait. Chronologiquement, la néo-zélandaise raconte sa philosophie, la met en scène et affirme un féminisme qui coule de source. Le constat est d’une simplicité évidente : elle ne connaît que son point de vue féminin, réalise depuis ce point de vue, et la sous-représentation de celui-ci fait le reste, lui donnant des allures novatrices et révolutionnaires. Les institutions crient au génie d’une femme qui ose simplement dévoiler un angle habituellement ignoré. Le documentaire évite la pluie d’éloges peu constructifs et laisse Jane Campion choisir elle-même les instants clef de sa carrière.

Romy Schneider n’a, elle, pas la parole. Une voix masculine suave manœuvre sa vie et éclaire les instants censés susciter notre intérêt : son accablement déchirant face au départ de la sacro-sainte figure paternelle, le « restaurateur prospère » qui sauve sa mère du désespoir de la solitude, son encanaillement avec l’irrésistible Alain Delon, son geste considéré comme révolutionnaire consistant à payer le divorce de son second mari, ses disputes avec Alain Delon, son évident instinct maternel plus fort que tout, ses retrouvailles avec Alain Delon filmées par la presse entière… Sa carrière se résume à une accumulation de faits-divers people. Dans cet épais brouillard de superficialité, la liberté prônée par le titre peine à trouver sa place.

On regarde l’actrice, on écoute la réalisatrice.

Ces documentaires illustrent à eux seuls la relation entre les institutions cinématographiques et les femmes. Tant qu’elles sont belles, bien apprêtées dans des robes de luxe aux décolletés plongeants, souriantes et dociles à l’épreuve des photographes, elles sont les bienvenues sur le tapis rouge. Lorsqu’elles souhaitent s’exprimer et qu’elles trouvent leur place dans l’ombre, derrière la caméra, leur donner accès à la lumière des marches n’a plus d’intérêt.

Pourquoi s’attarder à écouter Jane Campion lorsqu’on peut se délecter sans le moindre effort cérébral des courbes gracieuses d’un corps sur-sexualisé ? Merci Cannes de cette belle démonstration !

À propos
Affiche du film "Jane Campion, The Cinema Woman"

Jane Campion, The Cinema Woman

Réalisateur
Julie Bertuccelli
Durée
1 h 38 min
Date de sortie
17 mai 2022
Genres
Documentaire
Résumé
Aucune note
Affiche du film ""

Romy, femme libre

Réalisateur
Lucie Cariès
Durée
1 h 31 min
Date de sortie
17 mai 2022
Genres
Documentaire
Résumé
Romy Schneider est en Compétition depuis 1957 avec Sissi, avant de revenir plusieurs fois sur la Croisette, notamment pour Les Choses de la vie de Claude Sautet. Ce documentaire exceptionnel retrace son illustre carrière avec passion et dévouement.
Aucune note