Jouer de l’image

Cet entretien avec Etienne Caire (alias Riojim) et Lionel Palun concerne la performance Filmbase, présentée pour la première fois en 2003. Leur collaboration met en conversation cinéma argentique (16 millimètres) et vidéo.

Etienne Caire rejoint en 1992 l’équipe de cinéma expérimental du 102 pour créer l’Atelier MTK, un laboratoire cinématographique artisanal créé par un collectif de cinéaste expérimentaux et permettant d’effectuer le développement et le tirage de films super 8 et 16 millimètres. Depuis, il encourage de manière active le développement d’un réseau européen de laboratoire par le partage des connaissances et des outils. Dans une approche entre maitrise et non-maitrise, il remet en jeu durant la projection des images travaillées en laboratoire.

Lionel Palun est co-fondateur de l’association 720 Digital. Il a été membre de la collégiale du 102. Depuis 2017, il est artiste associé à l’Hexagone dans le cadre d’une résidence Arts Sciences. Il travaille l’image numérique sous ses aspects les plus divers (duo, improvisation, performance) et développe sa propre lutherie numérique.

C’est suite à une battle au 102, sans avoir joué ensemble au préalable, qu’Etienne Caire et Lionel Palun entrevoient un potentiel à collaborer ensemble. Ils font depuis interagir deux outils et deux approches de l’image bien différents dans une envie d’expérimentation et de partage.

Assata : À propos de Filmbase , quelle est votre fiche technique ? Combien avez-vous de projecteurs pour cette performance ? Quel est le dispositif que vous mettez en place ? J’ai pu lire sur la page dédiée à la performance que vous parlez de projecteur préparé. Quel projecteur est préparé ? Je crois savoir que le projecteur d’Etienne est habituellement préparé. Est-ce que le vidéoprojecteur lui aussi est préparé ? Ma question c’est : comment vous faites pour faire interagir vos deux dispositifs en un ?

Lionel Palun : On va chacun te décrire notre dispositif. Moi, j’ai un vidéo-projecteur. On projette tous les deux sur le même écran. Je n’ai pas de préparation particulière, avec Etienne c’est de l’improvisation complète. Cependant j’ai une caméra qui filme l’écran, c’est-à-dire que je travaille le feedback vidéo sur l’écran. Je filme et je re-projette ce que je filme, en le travaillant par des déformations de tailles d’images, et parfois par du delay. C’est un feedback vidéo permanent qui est alimenté par le 16 mm. Et toi Etienne ?

Etienne Caire : Moi j’ai un projecteur 16 mm, un peu préparé dans le sens où j’ai mis un ralentisseur afin de pouvoir modifier le rythme de l’image.

Lionel Palun : Et les optiques aussi… Tu joues avec plusieurs optiques.

Etienne Caire : Oui.

Lionel Palun : Au niveau son, je diffuse dans les hauts parleurs le son de l’image. C’est à dire le flux vidéo, qui est un signal électrique.  Je le traite comme du son directement dans les hauts parleurs. Etienne a plus de sources sonores que moi.

Etienne Caire : Oui. J’en ai un peu sur la pellicule. On entend bien mon projecteur ? Est-ce que j’envoie du son dans ton dispositif ?

Lionel Palun : Non. Tu envoies du son indirectement, je filme ce que tu envoies, quand tu envoies de l’image ça produit du son.

Etienne Caire : D’accord.

Lionel Palun : Mais c’est bien le flux vidéo… C’est très bien cet entretien, ça nous permet de comprendre ce qu’on fait… Je n’ai pas de micro direct, c’est uniquement de l’image. Mais puis ce que l’image est transformée dès que tu fais quelque chose, ça fait du son. Je ne sais pas si c’est clair Assata ? Tu nous dis quand on ne l’est pas.

Assata : Ça va pour moi. J’ai cru comprendre de mes lectures concernant le dispositif que Lionel a créé un logiciel pour pouvoir faire interagir l’image argentique avec l’image numérique. Est-ce que j’ai bien compris ?

Lionel Palun : Depuis que je fais de l’image sur scène, j’ai créé effectivement un logiciel pour jouer de l’image. Je l’utilise pour des tas de chose. C’est mon instrument. Je l’utilise toujours quand je joue de l’image. Je parle volontairement de lutherie numérique, c’est-à-dire de développer un instrument de manière numérique qui est vraiment orienté pour l’improvisation de l’image. Même si avec je peux enregistrer et travailler des partitions, sa raison d’être originale c’est vraiment l’improvisation en vidéo.

Assata : Et elles viennent d’où tes images Lionel ?

Lionel Palun : La source de mes images, en générale c’est une ou des caméras qui filment en direct. Par le larsen vidéo, c’est-à-dire en filmant ce que je projette j’ai des boucles d’image qui se font. C’est un peu comme du larsen en son. La caméra serait le micro et l’écran serait le haut-parleur. J’ai une boucle d’image qui se crée d’elle-même par le larsen vidéo. Cette boucle d’image est nourrie par ce qui se passe sur l’écran, et entre l’écran et la caméra. En l’occurrence avec Etienne c’est vraiment ce qu’il y a sur l’écran, par ce que lui va projeter du film. Ce qu’il projette est filmé par ma caméra, re-projeté au même endroit et donc il modifie ce flux de larsen vidéo.

Assata : Si je comprends bien le logiciel permet de faire interagir les deux dispositifs ?

Lionel Palun : Mon outil me permet de travailler du flux vidéo. Le larsen vidéo, c’est quelque chose qui existe depuis longtemps. Un des pères serait Naim June Paik. C’est comme mettre une caméra sur une télé, il se passe des choses. Ce que j’ai apporté avec l’outil numérique, c’est que ce flux je peux le travailler numériquement. C’est-à-dire que je peux mettre du filtre. Je peux mettre du delay, ce qui est difficile à faire en analogique. Je peux recadrer en permanence les images. Je peux les piquer. Je peux éventuellement rajouter quelque chose à l’intérieur. Je peux rajouter du film enregistré, je peux rajouter des images, des photos, et à peu près tout ce que je veux au milieu. C’est vraiment un traitement du flux vidéo… du larsen vidéo. Je me suis inspiré finalement de la musique électroacoustique. Comment si tu mets un larsen au milieu de pédale, tu peux en jouer. C’est un peu la même chose en image. Et là, l’interaction avec Etienne elle se fait par ce qu’à partir du moment où il envoie de l’image, je la filme. Alors son image modifie le flux vidéo, forcément par ce qu’elle est sur le même écran. Les deux images s’accumulent et comme je viens perturber son image, Etienne est incité à en jouer, donc à modifier la vitesse de défilement de son image, ou à éteindre son projecteur, ou encore à jouer sur ses optiques. C’est un dialogue.

Assata : Vous parlez de performance, et aussi d’improvisation. Qu’est ce qui est performatif dans votre dispositif et qu’est ce qui est de l’ordre de l’improvisation ? Je ne sais pas si ma question est claire.

Lionel Palun : Elle n’est pas vraiment très claire cette question. Mais on va essayer d’y répondre.

Etienne Caire : La performance c’est un terme générique. Performance, c’est un terme un peu comme expérimental qui veut tout dire et rien dire. Pour moi il y a des gestes qui sont effectués. Pour moi le cinéma c’est un art du support fixé, où il n’y a rien à faire, tu allumes et tout est fait à l’avance, comme les films en vidéo. Dans notre approche, on agit sur le défilement des événements. Donc on performe une action. L’idée d’improviser c’est complètement différent, c’est l’idée d’être là, présent, d’essayer de partir de rien ou du minimum en tout cas et de regarder ce qui se passe. Au départ, j’ai une bande qui est un peu fixée. En effet, mes images sont fixées sur le support pellicule mais l’action de Lionel va toute suite transformer radicalement le propos. C’est là où on improvise tous les deux, c’est-à-dire qu’on va réagir l’un à l’autre aux sons et aux images. On va réagir à tout ce qui se passe, ou ne pas réagir bien sûr. En tout cas on va essayer d’être là et non pas répéter une chose qu’on a vu ou entendu ailleurs, à un autre moment. « Ah ! Hier c’était bien cette séquence… On la refait. ». Non. On est incapable de le refaire. On réagit là, maintenant, au moment, à ce qui se passe. En essayant de découvrir en même temps que le public. C’est l’idée d’improviser. C’est être aussi alerte que le public à scruter l’image et le son et se demander ce qui se passe dans cette idée d’improvisation.

Lionel Palun : Notre dispositif est tel qu’il nous serait de toute façon impossible de reproduire à l’identique. Ce n’est pas ce qui nous amuse. Ce qu’on aime, c’est vraiment cette idée d’écoute commune de ce qui est en train de se passer et de réaction vis à vis de ça. Exactement comme le dit Etienne.

Assata : Sur la page de Filmbase il y a ce terme que vous évoquez, qui m’a interpellé. Vous parlez de « remettre en jeu ». J’ai vu des captations et je me rends compte que pour ce qui parfois se rapproche de séquences, il y a des changements, des modifications. Qu’est-ce qui vous conduit à ces changements, à cette remise en jeu ? Est-ce une intention ou l’instant de la performance ?

Lionel Palun : Pour le coup c’est un peu différent pour tous les deux. Moi, je n’ai pas de travail en amont, si ce n’est de faire évoluer mon outil. Depuis le début il y a des choses qui ont évoluées par ce que j’ai de meilleures caméras. Par exemple je suis passé à la HD. Ces évolutions techniques ont un impact assez notable sur le résultat.  Mais c’est de l’ordre de la technique. En revanche, je n’ai à aucun moment un travail de montage. Pour Etienne c’est un peu différent.

Etienne Caire : Moi aussi je fais tout pour ne pas avoir de fil conducteur. On a des contraintes techniques, avec lesquelles on joue, et surtout pas avec un propos qui serait autre. « On va dénoncer la guerre, ou je ne sais quoi. » Le but c’est vraiment d’essayer de travailler une matière et de se perdre dedans.

Lionel Palun : À chaque fois qu’on a joué, c’est avec des montages différents, en tout cas pour Etienne. Moi je suis dans tous les cas dans la surprise permanente de ce qui va arriver.

Etienne Caire : Pareil pour moi, par ce qu’il y a tellement de plans que je suis incapable de me rappeler de tout ce qu’il y a. C’est vraiment important, de ne pas faire un montage qui a du sens, et trouver le sens sur le moment, pendant l’improvisation, se dégager de toutes idées préconçues avant la projection.

Lionel Palun : Si on a une petite réflexion sur l’image en amont c’est qu’on sait  avec l’expérience que dans les matières qu’ Etienne a en stock, il y a des choses qui  vont plus ou moins fonctionner en larsen. S’il m’envoie une image très peu contrastée, il va se passer moins de chose. S’il envoie du blanc, ma caméra va filmer du blanc, donc on va faire du blanc. Petit à petit, on sait qu’il y a des types d’image qui réagissent mieux à la caméra. À chaque fois sans jamais y répondre on se pose toujours la question de l’image figurative, et de l’image abstraite. Il y a toujours un savant mélange des deux. Sachant qu’effectivement quand ce sont des images figuratives, en les filmant et en les re-projetant j’ai encore de la figuration même si elles sont assez largement déformées. De toute façon le tout va vers l’abstraction d’une manière générale. Pour moi même une image figurative c’est une matière. Je n’y mets effectivement pas de sens à l’intérieur.

Etienne Caire : Oui effectivement. Il y a des images figuratives que tu arrives complètement à transformer et à rendre complètement abstraites. Une transformation radicale que j’essaie de faire tout seul, mais avec toi ça prend vraiment une dimension supérieure : comme la transformation du cadre. Moi je peux jouer sur la vitesse du projecteur, la taille de l’image, et la forme de l’image. Lionel lui il démultiplie cette transformation d’une manière que je ne pourrai espérer faire seul. Au point où l’image figurative peut devenir abstraite, rarement l’inverse.

Lionel Palun: Parfois des images naissent.

Etienne Caire : Ce qui est étonnant c’est que, je le nourris. Il re-filme, il re-projette, à nouveau il me nourrit par ce qu’il crée une nouvelle image avec un nouveau cadre, et je dois à mon tour en jouer. On a pas du tout la même vitesse d’intervention. Ce qui est très bien par ce que ça créé une richesse. Lionel a le choix d’étirer une seconde ou un peu plus. C’est par son jeu que je peux répondre. Il peut décider de remplacer des images figuratives. Si à nouveau j’ai une image abstraite le cadre de l’image se transforme. J’aime beaucoup ces jeux où finalement les séquences sont étirées.

Lionel Palun : Le cadre c’est une question assez importante. Par ce qu’on a vraiment des modes d’intervention différents tous les deux. Moi d’une certaine manière, je ne touche pas au cadre de la projection. Le vidéoprojecteur n’est pas un outil très souple pour jouer, moins que le 16 millimètres, même si ça peut paraître paradoxal. Je ne joue pas sur la taille de la projection, et le déplacement de la projection, ce qu’Etienne lui va faire avec ses optiques. Par contre à l’intérieur du cadre de la projection je peux venir recarder. C’est-à-dire que je peux décider de mettre en plus petit ou zoomer sur ce que je filme pour le mettre en beaucoup plus gros. Je peux aussi jouer de la caméra. Je le fais peu mais je le fais aussi de changer de point de vue sur ce que je suis en train de filmer ou de numériquement déplacer le cadre d’image. On a donc deux réflexions au cadre assez différentes. Il y a aussi des moments super, lorsqu’Etienne éclate complètement l’image et la sort complètement du cadre. Il peut donc aussi échapper à ma projection et à ma caméra. Et c’est ce mélange des deux qui donne naissance à un troisième objet qui me fascine toujours autant depuis des années. Effectivement il y a un troisième objet qui nait de la vidéo et du cinéma, qui n’est ni l’un, ni l’autre et qui n’a pas vraiment d’équivalent en ma connaissance.

Assata : Le spectateur n’a accès qu’à ce troisième objet ? Ou aux deux images qui rentrent en interaction ?

Lionel Palun : Il n’a accès qu’au troisième objet. Il n’a accès qu’à la somme des deux. Et nous aussi d’ailleurs puis ce qu’on n’a pas accès à nos images.

Etienne Caire : Oui nous aussi. C’est ce qui est beau. C’est qu’on est perdu, on ne sait plus qui fait quoi.

Lionel Palun : Il y a deux sources mais la seule chose que l’on voit, c’est la somme de ces deux sources, qui est une somme analogique puis ce que c’est la somme de ces deux lumières sur l’écran qui fait l’objet du travail que les gens regardent et qu’on regarde aussi Etienne et moi. On n’a pas d’autres indications que celles-là. Moi j’ai mon écran d’ordinateur que j’essaie de ne pas trop regarder.

Etienne Caire : Je pourrai rajouter par rapport au logiciel de Lionel – dont je n’ai qu’une vague idée – je le vois dessiner. Il re-filme, mais il est tout le temps en train de déplacer, modifier, dessiner, recomposer l’image. Pour moi aussi ce qu’il fait est très important, car il emmène une grande richesse à l’éclatement du cadre.

Lionel Palun : Oui c’est important. Avant de faire de l’image j’ai fait beaucoup de dessin. J’ai surtout appris à faire de l’image en recopiant des tableaux, et des BD. Ma connaissance de l’image vient plutôt de la composition picturale que du cinéma. Je ne connais presque rien au montage. Ce n’est pas du tout mon univers de départ. Je suis assez d’accord avec Etienne. Le geste est assez important, puis ce que c’est un geste de composition et de peinture. Mon geste n’arrête pas de répondre à ceux d’Etienne. Puis ce qu’Etienne lui aussi n’arrête pas de composer, et de recomposer par le jeu. Il n’arrête pas non plus d’avoir des gestes auxquels il sait que je vais répondre. C’est aussi pour ça que c’est une performance. On n’arrête pas d’agir, et l’un et l’autre. Et dans le mélange de ces deux images, il y a aussi quelque chose que je trouve assez passionnant c’est qu’on a des types d’images très différentes. Le 16 millimètres et la vidéo, c’est très différent. Chacune des images a ses avantages et ses inconvénients. Le gros avantage pour moi du 16 millimètres c’est le noir et les couleurs. C’est-à-dire que la palette de couleur d’Etienne est vraiment infiniment supérieure à la mienne. En vidéo on a que quelques millions de couleurs. C’est assez limité. On n’a jamais de noir, puis ce qu’on a toujours le gris vidéo. Cependant la vidéo permet des types d’interventions que la pellicule ne permet pas comme effectivement les décalages temporels dont parlait Etienne. C’est-à-dire que je peux en permanence avoir une mémoire de quelques secondes, voir quelques dizaines de secondes de ce qui s’est passé avant et le réinjecter à l’écran. La dimension temporelle de montage que je n’ai pas, je peux la retrouver avec ce jeu de delay.

Etienne Caire : Pour moi aussi c’est important que tu puisses avoir une mini-mémoire des choses. Je ne peux pas intervenir dessus. La vidéo permet une réaction instantanée dans une mesure que je n’ai pas. Je me sens extrêmement limité par rapport aux possibilités de Lionel à retravailler l’instant.

Lionel Palun : D’ailleurs la prochaine fois qu’on joue il y aura des surprises. J’ai un peu amélioré mes histoires de delay. Je vais avoir un jeu beaucoup plus souple dessus.

Etienne Caire : Tu peux les ralentir, et les accélérer ?

Lionel Palun : Oui je vais pouvoir jouer un peu plus.

Etienne Caire : Vive le confinement !

Lionel Palun : Exactement.

Assata : Vos trouvailles continuent de nourrir le projet. Est-ce que le projet évolue encore ?

Lionel Palun : Oui par les réflexions. Il se nourrit de mon côté par les avancées de mon outil. Le gros pas a été le passage du DV à la HD. J’ai pu avoir une caméra beaucoup plus sensible. C’était donc plus facile d’attraper l’image du 16 millimètres avec une meilleure résolution, ce qui fait que le travail par rapport au cinéma s’est retrouvé plus affiné. La question du delay est inhérente à mes objets. C’est-à-dire que plus mon ordinateur est puissant, plus il a de la mémoire, plus je peux engranger de la mémoire en temps réel. Rien ne s’enregistre, mais se met en mémoire. Du matériel plus puissant me permet d’augmenter mes temps de delay et mes temps de traitement des delay. Et il y a la pratique, avec l’expérience on devient moins mauvais dans le jeu. Je suis toujours absolument fasciné de voir à quel point le travail d’Etienne est toujours en perpétuelle évolution. J’ai toujours l’impression qu’il arrive au summum et à chaque fois il a des nouveaux trucs qui vont plus loin. Le plus étonnant, c’est la façon dont ces deux types d’images en font vraiment une troisième, de laquelle on arrive plus à démêler l’action de l’autre. C’est surprenant. C’était un peu inattendu.

Etienne Caire : C’est par ce qu’on est dans le faire. On est en train de fabriquer. Certaines fois on a du mal à tout percevoir.

Lionel Palun : C’est qu’on ne laisse ni au spectateur, ni à nous le temps de comprendre ce qui se passe. C’est un jeu qui évolue assez rapidement. Les choses s’installent rarement assez longtemps, on n’a pas le temps de les décortiquer.

Etienne Caire : En quoi ça t’intéresse toi ? Qu’est-ce que tu fais Assata ?

Assata : J’essaie de faire interagir un vidéoprojecteur et un projecteur 16 mm. Pour l’instant j’ai deux types d’images bien distinctes, qui ne se mélangent pas vraiment. Je ne suis pas encore arrivée à ce mélange des deux matériaux. Je ne suis pas encore arrivée à créer un troisième objet. Mais peut être par ce que je reste accrochée à ce qu’il y est tout dans le montage. Vous vous parlez de manque, d’absence. Ce qui laisse surement la place de construire autour. C’est peut-être ce qu’il faut que je fasse, que je crée autour de manque et d’absence.

Etienne Caire : Nous on est deux avec chacun un appareil. Toi tu es toute seule avec deux appareils complètement différents : gros problème.

Lionel Palun: Effectivement, nous on est en performance. Toi je ne sais pas si tu imagines une performance ou une installation. Les deux se pensent différemment. Par ce qu’effectivement notre temporalité à nous c’est une temporalité de la performance. On a peu creusé. On n’a jamais fait une installation par exemple avec Etienne. Sur les petites recherches qu’on a pu faire, Etienne m’a initié. « Initier » est un bien grand mot, mais nous avons passé un peu de temps en laboratoire afin que je comprenne comment faire du cinéma. À cette occasion, on a aussi mis sur pellicule des images vidéo. Moi je faisais des mini-improvisations qu’Etienne a re-filmé et réutilisé ensuite en pellicule.

Etienne Caire : L’essai n’était pas vraiment probant. On s’est rapidement dit qu’il y avait peu de raison de faire ce passage.

Lionel Palun : Oui ça n’avait pas de sens particulier. En tout cas, ça m’a intéressé, et j’ai enfin compris le fonctionnement. J’ai compris pourquoi je ne faisais pas ça. C’est un métier de galérien le cinéma. C’est le dernier artiste qui travaille Etienne.

Etienne Caire : Je suis un débutant. Je ne suis pas encore satisfait. Il y a un mot je trouve qu’on ne prononce pas assez souvent. Tu l’as dit quand même Assata. C’est la remise en jeu. C’est de jouer tout simplement. J’ai regardé ton site Lionel, ou tu parles beaucoup de recherche. C’est bon pour les dossiers la recherche sur le rapport son et image. J’ai l’impression que depuis que je traine au 102 j’entends parler de cette idée, qui est une approche très personnelle : comment un individu réagit aux sons et aux images ? C’est finalement l’idée de jouer qu’on dénigre un peu en France. On dit jouer de la musique, on dit rechercher des notes, mais pas jouer de l’image.

Lionel Palun : C’est vrai. Tu as raison. Dès qu’on dit jouer de l’image, il faut passer une heure derrière pour expliquer aux gens, par ce que ce n’est absolument pas intuitif qu’on puisse jouer de l’image.

Etienne Caire : C’est l’idée de base de notre dispositif. Et le plaisir qu’on peut donner…au spectateur qui regarde. On est en train de jouer, on n’est pas en train de sermonner.

Lionel Palun : On a souvent ce retour-là notamment en festival de films expérimentaux, ou dit expérimentaux. En générale les gens nous disent « enfin on s’amuse », après avoir vu dix heures de plans fixes chiants. Ce qu’on propose c’est un moment où on s’amuse, ça fait du bien à tout le monde. Même si on peut aussi aimer les plans fixes chiants. Il n’y a pas de soucis. C’est vrai qu’on essaye de ramener un truc d’une lucidité qu’il y a rarement.

Etienne Caire : C’est vivant aussi.

Lionel Palun : Oui c’est vivant.

 

Entretien réalisé par Assata Fofana-Zaccanti