Football mystique

Un Solo Amore, Fabien Fischer & Yoann Demoz (2019)

Il est possible d’être surpris par un court-métrage tourné sur une saison de football, dans un bar au nord de Grenoble, même et surtout lorsque l’on n’aime pas ça. Il est possible de revoir ses clichés sur les joueurs surpayés, le machisme généralisé, et surtout le manque de finesse des supporters, en inversant le point de vue : regardons-les eux, les supporters, plutôt que l’écran. D’ici, on découvre les moments de liesse dans lesquels on a déjà pu être entrainés, sans forcément les comprendre, et aussi ces moments d’une profonde tristesse qui ne nous touchaient ni de près ni de loin : « ce n’est qu’un match de foot » disions-nous.

C’est autrement que l’on regarde les supporters de la Juventus pendant le temps que nous donne Un Solo Amore pour le faire : le film s’ouvre sur l’image d’un jeune garçon qui pourrait être nous, bousculé par la foule, un peu abasourdi par l’explosion de joie qui éclate autour de lui. Puis l’on entend un texte de Sainte Thérèse d’Avila, qui fait le lien entre son expérience mystique et celle que semble vivre les supporters. On ne l’aurait jamais perçu : il y a quelque chose d’une cérémonie religieuse à se rassembler dans un lieu clos, à chanter les mêmes chansons, à embrasser des médaillons – ici de la forme de l’Italie -, et à regarder dans la même direction, celle de l’écran. L’expression qui donne son titre au film, Un Solo Amore, « un seul amour », inscrite sur les pancartes des supporters, évoque l’amour que porte les croyants à leur Dieu. C’est le film tout entier qui tend à faire le lien entre la passion religieuse et celle du football, surtout dans la position de leurs adeptes : si les mystiques sont souvent représentés en peinture levant les yeux vers quelque chose que l’on ne peut pas voir, l’expression difficile à décrire, c’est dans cette position là que le film nous montre les supporters face à l’écran, qu’on ne fait que deviner partiellement dans des reflets, entre inquiétude et soulagement. C’est cela qui nous mène vers une étonnante contemplation et empathie : les émotions vives, déchirantes, les larmes, et surtout leur attente, d’un but, parfois même d’un miracle, qui nous paraissait si absurde pourtant, si futile, prennent tout à coup un inexplicable sens. 

Alors, une prochaine fois, où se retrouvera sûrement entraîné devant un match, et si subsistera encore le mystère d’un tel engouement pour ce que l’on considère être si peu, on pourra regarder ceux qui regardent et, sur leurs visages, trouver plus que des supporters sans finesse, partager avec eux de la joie, et peut-être aussi des tristesses. On acceptera de ne pas comprendre, et l’on reconnaîtra peut-être que le foot, c’est sûrement plus que des types qui courent derrière un ballon, plus que ce que l’on voulait imaginer : une expérience véritable, un amour partagé.

À propos

Un solo amore

Réalisateur
Fabien Fischer, Yoann Demoz
Durée
0 h 17 min
Date de sortie
10 août 2019
Genres
Résumé
Dans un bar en périphérie de la ville de Grenoble, la communauté́ italienne se réunit pour regarder les matchs de la Juventus de Turin. Les différentes générations de l’immigration italienne viennent communier face aux écrans géants qui hurlent le match tandis que les visages des spectateurs se déforment…
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