Festival du film Fantastique de Gérardmer

Le Festival du film Fantastique de Gérardmer s’est tenu cette année en ligne, voici la première partie de notre compte-rendu sur la compétition officielle.

L’horreur vide : The Other Side, Tord Danielsson & Oskar Mellander

 Il y a des films faibles, handicapés par d’innombrables défauts, mais qui, grâce à une idée, une scène, ou simplement un plan, peuvent marquer l’œil du spectateur. The Other Side ne fait pas partie de cette catégorie. Rien n’est à sauver dans ce film où un enfant et sa belle-mère combattent tant bien que mal l’immonde et risible démon en images de synthèse qui hante leur minuscule maison – et surtout le couloir, filmé encore et encore par des travellings et autres mouvements balayants, si bien qu’une certaine nausée menace le spectateur à chaque fois qu’une porte apparaît à l’écran. Le réalisateur réussit la performance incroyable de donner dans tous les poncifs du film d’horreur en moins d’une heure trente, du personnage stupidement sceptique (le père, absent la semaine, qui, voyant son fils violenté et traumatisé, rejette l’explication fantastique pour accuser de manière irraisonnée sa compagne) jusqu’aux violons sans âme (sans doute une musique libre de droit trouvée sur YouTube, et intitulée horror_movie_music.mp3). Les acteurs, sous anesthésiant pour cheval, semblent faire un point sur leurs vies et leurs carrières, regrettant peut-être de ne pas avoir suivi leur passion du parapente ou du tricot. Les références éculées aux classiques du cinéma d’horreur s’enchaînent, de L’Exorciste à Paranormal Activity en passant par Alien 3, et ne font que souligner l’esthétique usée du film, où l’on abuse des jeux d’éclairage et de la désaturation de l’image. Semble seulement se dégager une envie de passer un message sur la famille recomposée, le fait d’être une mère pour un enfant qui n’est pas le sien, et la place de la femme dans la société. Mais cette tentative d’élever ce film à une portée politique échoue tant cela est prévisible, à l’image du découpage scolaire en chapitres ou des jumpscares et autres effets pseudo-horrifiques qui parviendront peut-être à effrayer un voyageur temporel venu tout droit du XVIIe siècle.   

La parfaite imperfection : The Cursed Lesson, Kim Ji-Han et Juhn Jai-hong

La quête de la jeunesse éternelle. C’est à partir de ce mythe antique que se construit The Cursed Lesson, cinquième film des réalisateurs coréens Kim Ji-Han et Juhn Jai-hong. On y suit Hyo-jung, mannequin magnifique sur le déclin, qui, après s’être vue refuser un contrat au profit d’une femme plus jeune, plus « urbaine » d’après les publicitaires, cherche à tout prix à rester plus jeune, à rester plus belle. Le sport ne semble plus suffire, et sa chirurgienne lui refuse toute nouvelle injection de botox, par peur des effets secondaires. Elle décide alors de suivre un stage de yoga spécial, conseillé par une de ses connaissances de lycée, un stage visant à atteindre le Kundalini, l’énergie ultime permettant de lier l’âme à l’univers, bref un supposé état spirituel qui, une fois atteint, rendrait les femmes plus jeunes et plus belles. Se met alors en place une intrigue pseudo-biblique, où quatre Eve correspondant à différents clichés féminins (à Hyo-jung s’ajoutent la girl next-door jeune, timide et discrète, la sportive sympa, et la basic bitch condescendante) sont manipulées et vampirisées par un serpent qui les encourage à récupérer le mirage d’un fruit défendu. 

Passons rapidement sur la mise en scène millimétrée devenue caractéristique d’un certain cinéma coréen, de Kim Jee-woon (J’ai rencontré le Diable) ou Na Hong-jin (The Strangers) jusqu’à, évidemment, Bong Joon-ho (Parasite), efficace même si elle n’invente ou n’essaie rien, ainsi que les choix de bruitages vus et revus lors des scènes horrifiques (ces sons stridents et autres gargouillements aquatiques typiques des fantômes asiatiques, qui se conjuguent aux inépuisables violons), ou encore sur le jeu des actrices, qui recyclent au maximum l’écarquillement de leurs globes oculaires. Le vrai problème du film, c’est son écriture. The Cursed Lesson ne sait pas sur quel pied il doit faire sa posture du héron. Il commence avec notre héroïne et son mal être esthétique, puis croise son récit avec une enquête policière menée par le fameux détective hagard, dépressif et, évidemment, en instance de divorce, avant de délaisser ces deux personnages dans le deuxième tiers du film pour donner de la place aux autres participantes du stage, ouvrant une deuxième heure confuse, qui alterne d’une scène à une autre et d’un personnage à un autre sans réelle cohérence. Si l’enquête finit par rejoindre la trajectoire de l’héroïne, leur coïncidence est décevante, le détective ne servant finalement qu’à donner une explication rationnelle aux évènements du film, rappelant de manière lointaine le discours du psychiatre à la fin de Psychose.  

The Cursed Lesson est une occasion manquée pour un film fantastique : concentré uniquement sur Hyo-jung et sa quête maladive de la jeunesse éternelle, le récit aurait pu créer une atmosphère réellement inquiétante en instillant un simple doute chez le spectateur (« est-ce que l’héroïne est folle/droguée, ou est-ce que ses visions sont réelles ? »). Les choses les plus simples sont les plus belles et, dans sa recherche de sophistication et de complication, le film échoue. C’est dommage, voire ironique, qu’une œuvre faisant de la vaine quête de la perfection son sujet pêche en voulant se conformer à toutes les attentes.

Visio-conférence infernale : Host, Rob Savage

Si l’on demande à Rob Zombie quelle est la pire chose qui soit arrivée au cinéma d’horreur, il répond sans hésitation le faux found footage, forme cinématographique fondée sur de fausses archives qu’il déteste par-dessus tout, et qu’il considère comme responsable de l’amoindrissement des budgets accordés aux films de genre. Il ne doit donc pas voir d’un très bon œil le développement, depuis quelques années, d’un nouveau genre cinématographique que l’on peut voir comme une évolution ou une dérivation du film de faux found footage, et qui consiste en la mise en scène d’un écran d’ordinateur, où les personnages n’apparaissent que lorsque leurs webcam ou caméra de téléphone sont allumées. Le procédé avait déjà touché le cinéma d’horreur avec Unfriended en 2014, dans lequel une conversation Skype tourne mal, mais c’est Searching en 2018 qui avait poussé le procédé plus loin, avec l’histoire d’un père qui cherche sa fille, mystérieusement disparue, à travers les réseaux sociaux.

Host, réalisé par Rob Savage, homonyme et futur ennemi mortel de Zombie, consiste en une séance de spiritisme via Zoom, en pleine crise sanitaire. L’écran ne montre qu’une chose : l’interface du logiciel du personnage principal, Hayley, soit un cadre qui pose l’épure du film. Aucune musique n’est utilisée, et les scènes de terreur se contentent d’effets sobres, d’une simplicité déconcertante (une porte qui claque, une chaise qui se déplace seule sur quelques mètres), qui dans la courte durée du film ne deviennent pas redondants. L’efficacité naturelle de ces effets, associée à une exploitation des possibilités du logiciel, comme l’utilisation de filtres sur les visages, ou la présence d’un décompte fermant l’appel pour les utilisateurs se contentant de la version gratuite de Zoom, permettent de compenser la vacuité du scénario, qui tient littéralement sur un post-it : l’apparition du démon se fait très rapidement et se voit expliquée en deux phrases d’une stupidité extrême (« Alors comme une participante a menti lors de l’invocation, elle a créé un masque qui a servi d’invitation et a permis à un esprit maléfique de venir dans notre monde. Voilà voilà. »), et celui-ci massacre ensuite les marionnettes développées à la hâte qui servent de personnages. 

En résulte alors un film moins plat qu’on peut le penser au premier abord, mais que l’on oubliera sans doute aussi vite que l’on espère oublier ces temps maudits du Covid-19. On espère aussi, pour la santé de Rob Zombie et la nôtre, que le procédé sur lequel repose Host ne sera pas à l’origine d’une mode bancale : qui, franchement, a envie de voir des films d’horreur faits d’images de webcam et de sons de micros d’ordinateur ?

Les six pattes du capitalisme : La Nuée/Mosquito State

Bien avant l’ère de l’homme, et bien avant le temps des dinosaures, le monde était dominé par les insectes. Et c’est peut-être ce savoir inconscient qui fait que nombre d’entre nous ont peur des invertébrés. Minuscules, insignifiants, ils paraissent géants et menaçants dans les nombreux gros plans qui viennent les capter au plus près dans La Nuée et Mosquito State. Les mandibules des sauterelles en deviennent des armes de destruction massive dans le premier, prêtes à déchirer la peau et l’âme des petites bêtes imberbes que nous sommes, tandis que le second s’ouvre avec le développement d’un moustique, de l’œuf jusqu’à l’âge adulte, en passant par un état larvaire démoniaque, accompagné par la composition musicale la plus glaçante de l’ensemble de la sélection 2021 du festival. 

Pourtant, malgré leurs menaces à six pattes, les deux films semblent n’avoir que peu en commun. Plus qu’un renouveau du cinéma de genre comme on semble nous vouloir le vendre, La Nuée est un film sur le monde agricole et ses difficultés (voire sa violence), en suivant la galère de Virginie, une éleveuse de sauterelles moquée par ses pairs et les habitants des alentours, tandis que Mosquito State vise plutôt l’horreur psychologique, avec Richard,  trader aux troubles autistiques qui, grâce à l’algorithme qu’il a développé, prévoit la crise économique de 2008, et fait face à la surdité du monde de la finance. Elle vit avec sa famille dans la campagne française, isolée de tout ; il habite seul un loft immense et luxueux de Manhattan, avec une vue parfaite sur Central Park. Elle se rapproche de Karim, un de ses collègues et ami agriculteur mais lui refuse son amour ; il ne saisit pas l’occasion avec Léna, l’étudiante qu’il ramène chez lui, et tente tout le film de se rattraper. 

Seul point commun entre les deux : leur dégénérescence. Elle se laisse emporter par l’hybris du capitalisme, construit serres sur serres supplémentaires pour produire encore et encore plus d’orthoptères incontrôlables, succès qu’elle paye en affaiblissant son corps, qu’elle donne en pâture à ses pondeuses et qu’elle cache à tout prix dans des vêtements amples malgré la chaleur de l’été ; lui dégénère en même temps que l’économie mondiale, s’isole de plus en plus dans son appartement qu’il transforme en environnement idéal pour les moustiques dont il deviendra le maître, et agresse le monde aveugle qui est le sien en montrant son visage devenu cronenbergien après les succions répétées des culicidés. 

Deux nuées au vrombissement assourdissant se développent au sein des deux films, pour signifier deux trajectoires différentes du capitalisme : les sauterelles, symbole positif qui donne l’espoir d’un moyen de nourrir l’humanité au début du film, finissent par amener le chaos et la destruction dans l’utopie de son héroïne, emportant avec elles l’homme aimé, tandis que les terrifiants moustiques, plus grands tueurs d’homo sapiens que l’homo sapiens lui-même, voient leur vacarme devenir presque rassurant tant le monde dans lequel vit le protagoniste semble déjà foutu. 

Puis tout termine dans l’eau. Un lac naturel, où l’attaque kamikaze des sauterelles dans l’espoir de dévorer Virginie et sa fille mène à leur autodestruction, et le Reservoir de Central Park, dans lequel Richard se laisse couler, et se voit rejoint dans son suicide par ses compagnons ailés. L’eau devient dans La Nuée signe de vie, de renaissance, plus que le sang lui-même, alors qu’émergent les deux femmes survivantes, et l’espoir d’une nouvelle vie qu’elles portent avec elles, tandis qu’elle permet au trader de rejoindre la mort – geste observé par Léna, espoir là aussi féminin d’un avenir plus radieux.

Hunting some vampires with the Boys : Boys from County Hell, Chris Baugh

Il existe un petit village d’Irlande, Six Mile Hill, où serait passé Bram Stoker, et dont une légende locale aurait inspiré son éternel Dracula. C’est dans ce lieu atypique, paumé au milieu des terres vertes du pays d’origine de Colin Farrel, que vit Eugene, jeune attaché à ses origines qui souhaite retaper la ferme léguée par sa mère mais qui, faute de moyens (ou plutôt d’offres d’emplois qui entrent dans ses principes), préfère se saouler quotidiennement au bar du coin, le Stoker, avec sa bande de potes, où ils s’amusent des rares touristes en les amenant à la tombe d’Abhartach, le monstre sanguinaire soit disant à l’origine du vampire des Carpates. Il suffit alors d’un accident dû à une bagarre alcoolisée pour réveiller la créature, et semer la pagaille dans la campagne irlandaise.

Dans la très sérieuse sélection 2021 du festival du film fantastique de Gérardmer, Boys from County Hell fait office de comédie d’horreur cathartique, suffisamment épargnée par les fautes de goûts pour permettre aux critiques aguerris que nous sommes, à Seul le Cinéma, de ne pas trop se poser de questions. Les blagues font mouche, qu’elles soient orales, comme les appels avec le policier du coin, ou visuelles, avec ce cadavre vampirisé qui grimpe le pieu qui l’a transpercé pour se libérer… On reconnaît plusieurs références, du Loup-Garou de Londres de John Landis (programmé par le festival dans ses projections de classiques) avec ses grands décors naturels et son retour à un folklore ancien, jusqu’aux comédies d’Edgar Wright, avec son goût du slapstick, son montage dynamique et évidemment ses personnages principaux, loosers magnifiques par excellence. Boys from County Hell n’atteint jamais la vivacité comique d’un Hot Fuzz mais c’est une comédie d’horreur rock’n’roll qui réussit son pari : nous inviter à suivre l’exemple de ses personnages lors de l’apparition de son titre, s’ouvrir une bière et s’amuser entre amis à se faire peur.