« AFGHANISTAN : DEPART RUSSES »
INA Histoire, le 5 février 1989, disponible sur YouTube.com
Empilées sur le flanc d’une colline, de simples briques couleur crème, percées d’ouvertures rectangulaires et décorées çà et là de couleurs vives. Le jeune Amin habite l’une de ces maisons. Il doit la quitter. Il ne la reverra jamais.
Au cours de leur migration, Amin et sa famille traversent un nombre croissant de supplices moraux et physiques. L’ininterruption de ces tourments au cours du film amène presque à croire en un acharnement du destin, obstinément cruel. Tout se délite. L’animation douce et colorée prend alors de violents virages et s’engouffre dans des abstractions noires. L’ombre d’Amin, personnification de son angoisse, fuit, de toutes les forces de ses jambes, alors que le monde autour s’écroule littéralement. Il n’est plus aucun bout de terre ou de roche capable de le soutenir, et lui permettre de reprendre son souffle. La structure de l’image disparaît, l’horizon s’évapore, remplacés par des lignes sombres. Simultanément, la confiance que portait Amin en l’humanité s’évanouit, remplacée par une angoisse de chaque instant ; hautement contagieuse… Ce n’est pas un drame, ni un mélodrame, mais une catastrophe humaine. Elle n’a pas besoin d’être appuyée, forcée ou grossie pour être effroyable ; elle l’est intrinsèquement.
« J’étais curieux de connaître son passé depuis que je l’ai rencontré quand nous avions 15 ans, à son arrivée dans ma ville au Danemark », se souvient Jonas Rasmussen, aujourd’hui âgé de 40 ans.
Initialement, Amin ne souhaitait pas parler de ce qu’il avait vécu, craignant pour son statut de demandeur d’asile mais aussi d’être perçu comme une victime.
« Flee, le film d’animation qui raconte l’histoire vraie de la fuite d’un jeune réfugié afghan »
AFP, le 6 décembre 2021, sur rtbf.be
Ponctuellement, l’image pastel disparaît, remplacée par la réalité : l’animation est délaissée au profit d’images d’archive journalistiques. Ces dernières, habituellement froides, lisses et lointaines, sont ici mises en dialogue avec une intimité, une histoire, celles d’Amin, qui leur donnent une profondeur déchirante. Le film est ainsi construit tel un bas-relief de cinéma, dessinant en surface le destin isolé d’Amin, et en creux, la tragédie de millions d’émigrés en déroute.
Les migrants se heurtent à des visages aussi froids, impassibles et anonymes que des reportages télé — des touristes les prennent en photo ; des journalistes et leurs caméras, satisfaits de leurs images, n’auront aucun impact sur l’affreuse réalité qu’ils rapportent pourtant.
Sur le sol du vaste site, les ordures se mêlent à la boue. Toutes les fenêtres des bâtiments ont disparu et le toit de certains d’entre eux s’est effondré.
(…)
Les quatre fenêtres de la pièce où [Abdullah] dort ont été bouchées par des bâches et le sol est recouvert d’un tapis sale et de vêtements abandonnés. Au fond de cette chambre de fortune, une petite tente permet à certains d’avoir un petit peu plus chaud la nuit. « La vie ici est infernale », décrit laconiquement le jeune homme au regard doux. À ses côtés, Gholestan estime que les exilés vivent « comme des animaux ».
« Reportage : entre camps surpeuplés et squats insalubres, les migrants en Bosnie condamnés à vivre ‘comme des animaux’ »
Julia Dumont, le 19 mars 2021, sur InfoMigrants.net
Il n’était plus question d’y croire. Pourtant le miracle se dessine : la possibilité d’arriver quelque part, de s’installer. Hélas, le monde d’Amin s’est déjà écroulé. Tout est menaçant, faux, dangereux, et dans le meilleur des cas, étranger. La sensation incessante d’étouffement subie durant ses années de migration est devenue permanente. Irréversible. Est-il possible de (se) reconstruire ?
Face au réalisateur et ami, Amin peine encore à vaincre sa honte : près de vingt ans après son périple infernal, il commence tout juste à combattre les démons de son passé. Peu à peu sa parole se libère. Son homosexualité, étouffée, relayée au second plan, a aussi pu se libérer. Et avec le temps, beaucoup de temps, le refuge inquiétant se transforme progressivement en foyer chaleureux.
À voir rapidement.
Sur Arte jusqu’au 21/04/2023.