Assassin’s Creed Origins

Assassin’s Creed Origins cherche ses racines en exhalant la mélancolie d’un monde en voie de disparition. Sa beauté et ses détails fascinent, mais le titre est problématique dans sa manière de convoquer incessamment les travers de la série de l’éditeur français Ubisoft.

MEMENTO MORI

Origins, nouvelle itération de la saga Assassin’s Creed, propose au joueur d’incarner Bayek, défenseur d’une Egypte antique opprimée par Ptolémée XIII, dont le règne est disputé à la fois par sa soeur Cléopâtre, par les Grecs et par les Romains. Cherchant à venger la mort de son fils causée par l’Ordre, une secte politique agissant dans l’ombre qui précède la formation des Templiers, Bayek parcourt le pays pour traquer les assassins de son fils et pour former une confrérie capable de servir les intérêts du peuple.

Bayek est le dernier des Medjay, des combattants protégeant le peuple égyptien. Il défend des traditions menacées par la lutte entre les Grecs et les Romains dont l’Egypte est le théâtre, et sait que le sable qu’il foule, bientôt balayé par l’arrivée de nouvelles civilisations, ne sera peut-être plus égyptien ; il ne peut encore se résoudre à remplacer Anubis par Hadès. Il lui est aussi difficile d’être à la fois au service du peuple et des grands de son époque. Il aide le paysan qui ne peut plus payer les taxes imposées par les Grecs, et Cléopâtre, qui rêve de retrouver la grandeur passée de l’Egypte, avec un goût prononcé pour le sang. Bayek, en promeneur romantique, erre dans une Egypte où les grands édifices ont déjà été érigés et l’Histoire déjà écrite – l’aura d’Alexandre Le Grand plane sur chacun des personnages dont l’ambition est d’écrire la suite de l’histoire du pays. La surface polie des pyramides s’est effritée depuis maintenant des siècles, laissant la pierre libérer un jaune ocre et le museau du sphinx de Gizeh a déjà perdu quelques pierres. Faire se balader Bayek dans une Egypte en déliquescence s’apparente à une errance mélancolique au soir d’un ancien monde dont les vieux mythes vivotent encore à la lumière des bougies, que les prêtres allument sur les lieux de rituel.

C’est toute la puissance du titre, et peut-être même du jeu vidéo, que de faire revivre, par le pouvoir presque magique de la simulation, une époque sur le point d’être avalée par le temps, mais qui s’accroche désespérément à l’idée d’immortalité (la Douât, au-delà égyptien, est sans cesse évoqué). Comme à l’accoutumée dans les Assassin’s Creed, la direction artistique est un hommage idéalisé à un monde depuis éteint, grâce à un formidable travail de la lumière pour modéliser – non, modeler – un exotisme à la fois spatial et temporel. La narration environnementale, profuse, détaille l’Égypte antique de sorte que sa représentation sociale paraisse cohérente. Par exemple, au centre de la carte se situe une région minière, fournissant le sel nécessaire à la momification que pratiquent les embaumeurs dans chaque grande ville du pays (Alexandrie et Memphis en tête). En cela,  Assassin’s Creed Origins est à l’image d’une ruine qui continue de diffuser la fragrance d’un temps révolu. Il est d’ailleurs troublant qu’un tel monde dépeint ressemble à un constat auto-réflexif de l’état actuel de la série : auparavant à l’avant-garde des jeux en monde ouvert, la saga d’Ubisoft doit aujourd’hui composer avec des rivaux qui ont proposé un autre modèle tout aussi viable (sinon plus) du genre. Encore accroché à l’idée qu’il se fait de ce genre vidéoludique (une aire de jeu à compléter plus qu’un territoire à explorer), Origins continue de faire vivre son modèle de monde ouvert en cherchant ce qui a fait son essence. En ce sens-là, il n’est pas tant un nouveau départ qu’une volonté de retrouver, dans une démarche presque psychanalytique, le mythe fondateur, le sien, perdu au fil des âges et des épisodes.

AD VITAM ETERNAM

Ce mythe fondateur, c’est Assassin’s Creed premier du nom, sorti en 2007, monolithe ludique dans lequel les activités, et donc les boucles de gameplay, se comptaient sur les doigts d’une main. Chaque assassinat, pour qu’il soit mené à bien, demandait quelques préparatifs : filage de cible, repérages topographiques, et c’était à peu près tout. Répétés ad nauseum, ces missions permettaient au joueur de comprendre la rigueur d’un tueur professionnel. Ébauche pour les uns, épure pour les autres, cet épisode inaugural était déjà conscient de sa rébarbativité, et en jouait : Altaïr cherchait à trouver des moyens moins « académiques » pour éliminer ses cibles, au mépris des préceptes de sa confrérie séculaire.

Au premier regard on ne perçoit pas qu’Ubisoft compte traiter cette introspection en revenant à un certain dépouillement des mécaniques de jeu. On a d’abord l’impression qu’Origins habille son game design de couches de gameplay excessives. Et donc qu’il s’éloigne de son aîné. Ubisoft nous laisse penser que son dernier-né, grimé d’un épais manteau RPG, démultiplie ses activités, pour ainsi chasser la monotonie du quotidien d’un tueur professionnel : on chasse la faune locale pour améliorer ses équipements, on aide les autochtones et on explore la carte contre de l’expérience, on essaime les cadavres dans les camps fortifiés pour récupérer leurs trésors bien gardés, on croise le fer grâce à un système de combat inspiré de Dark Souls, on joue au détective dans des phases de jeu tout droit sorties de The Witcher 3, on passe aussi un temps conséquent dans les menus du jeu pour réactualiser l’équipement de Bayek en surveillant les statistiques de ses armes et armures… Mais cette diversité que suppose le genre RPG est illusoire : tout converge en réalité vers une logique uniquement capitaliste (amasser le plus de biens et d’expérience possible), profondément routinière. C’est en cela qu’Origins retrouve l’essence de son aîné.

Mais pour qu’on ne repère pas sa structure rigide et répétitive, Ubisoft cherche à ce que ses mécaniques de jeu soient systématiquement prises en charge par la narration : aller vider un énième camp de soldats doit se justifier par le fait qu’un villageois demande à être débarrassé du joug d’un général retranché dans son campement, par exemple. Plus encore que tous les autres épisodes, Origins s’emploie à justifier chaque pan de ses mécaniques de jeu répétitives par un micro-récit. Plus de missions arcades de courses sur les toits citadins, plus de collecte d’artefacts douteux… Ainsi, se balader de missions annexes en missions annexes, toutes fortement scénarisées, relève d’une démarche impressionniste : l’Histoire du territoire égyptien se révèle par petites touches, par celles de ses habitants, aussi insignifiantes puissent-elles être. Ce procédé, heureux sur le long terme, est cependant dangereux car il laisse la porte grande ouverte à de multiples dissonances ludo-narratives : en quoi infiltrer inlassablement des places fortifiées dit quelque chose de la souffrance d’un peuple dont on profane les idoles et les coutumes ? La répétition, si elle s’applique trop longtemps, finit par désincarner un mouvement ou un propos. Si bien qu’à force de jouer toujours la même chose et de la même manière (le level design suggère par exemple trop facilement le chemin principal au lieu d’inciter à bifurquer), on perd de vue la finalité de nos actes. Cette finalité, c’est la grande interrogation qui naissait chez Altaïr, assassin du premier opus, après une série d’assassinats : à quoi rime tant de sang versé ? Un questionnement resté en suspens à la fin du jeu, puis épisode après épisode. La réponse des joueurs : le plaisir désintéressé de jouer, encore et encore, dans les coulisses de l’Histoire ; pratique rituelle mise en place par la série. Et si tout rituel découle d’une croyance, celle d’Assassin’s Creed Origins est inébranlable : on ressasse toujours le passé, jusqu’à parfois ne plus pouvoir s’en détacher.

Assassin’s Creed Origins

Réalisateur
Ubisoft
Durée
Date de sortie
27 octobre 2017
Genres
Action, Aventure
Résumé
Bayek, un des derniers medjaÿ de l'Égypte antique, se met au service de Cléopâtre pour renverser une organisation criminelle menaçant l'équilibre du pays.
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