Asako I&II ( Ryusuke Hamaguchi, 2019)

Asako I&II, Ryusuke Hamaguchi (2019)

Après sa fresque chorale, Senses, qui l’a fait connaître au public français, Ryusuke Hamaguchi signe un film duel en deux actes sur les tourments amoureux d’une jeune femme japonaise – Asako, donc.

Cinq heures étaient nécessaires pour arriver jusqu’au générique de Senses, premier film du japonais Hamaguchi à être projeté en France. Une durée exponentielle qui a conditionné son mode de diffusion particulier, à savoir trois épisodes dont les sorties furent échelonnées le long du mois de mai 2018. Un temps précieux pour dresser avec minutie et sensibilité le portrait de quatre femmes au mitan de leur vie. En comparaison, Asako I&II, sa dernière oeuvre, paraît plus ramassé : une durée de deux heures (en deux mouvements) pour un seul portrait féminin principal. Pourtant, ce dernier long-métrage poursuit l’ambition de son prédécesseur en étudiant à la loupe les états d’âme d’Asako par le prisme de ses deux amours, lesquels confèrent à ce récit intimiste une ampleur inouïe.

Indélébile

Le premier acte, avec une ardeur sanguine, effuse les sentiments par une photographie chatoyante qui ne trompe pas le spectateur : Asako démarre sous les auspices d’un premier amour indélébile. Au retour d’une exposition de photographies, Asako remarque un jeune homme mystérieux, nommé Baku. Sans autre motif que l’attirance subite qu’elle éprouve pour lui, elle décide de le suivre, et croise son regard ; naît aussitôt une idylle dans le bruit et la fumée des pétards. Elliptique et vive comme l’incandescence d’un feu de bengale, la mise en scène fait tournoyer Asako dans une romance à la passion démesurée et déraisonnable, à l’image de cette virée en moto où les deux amoureux, grisés par la passion et la vitesse, finissent étalés sur le bitume rosé par les dernières lueurs du soleil. Si forte qu’elle soit, cette passion menace pourtant de s’effacer à tout moment, les avertissements de l’amie d’Asako et la chute en moto en étant les premiers signaux. Car Baku, comme il le signale à Asako entre deux embrassades, est notoirement fugueur. L’on comprend dès lors qu’une telle emphase de la mise en scène s’apparente à une tentative de compenser sa fuite, de le figer dans les limites du cadre. Et ainsi de faire perdurer ce premier émoi amoureux pourtant voué à s’éteindre. Bien sûr, le bellâtre disparaît, non sans que s’imprime dans l’esprit d’Asako sa présence fantomatique et évanescente.

Dissymétrie

Deux ans plus tard, Asako rencontre Ryohei, dont la ressemblance avec Baku la foudroie de stupéfaction. Une relation amoureuse démarre, toutefois intranquille : l’ombre du premier amant plane sur le couple fraîchement formé. Le récit fait un temps l’économie de toute explication, entretenant malicieusement le trouble identitaire entre les deux hommes. Il réitère notamment des situations vécues avec Baku, comme cette cocasse visite d’exposition de photographies, ou encore cette scène dans laquelle le couple, vautré par terre, est terrassé non plus par un excès de vitesse et de sensations, mais par une dure journée de labeur. Il ne s’agit plus de filmer des corps électrisés, mais plutôt apathiques. C’est que l’amour inquiet d’Asako assagit la mise en scène et la dépouille de ses effets emphatiques. À la volubilité des sentiments prononcés envers Baku succède le mutisme inquiétant d’Asako dès que Ryohei s’adresse à elle, les couleurs irisées de la passion première laissant place à la pâleur des lumières qui éclairent faiblement le nouveau domicile conjugal. Les plans étirent leur durée (les années défilent) et le silence. Le rythme s’assoupit, installant une torpeur qui affadit, voire désamorce les élans sentimentaux du couple.

Instabilité

Le récit amoureux initiatique ne s’enlise pourtant pas dans la monotonie, la relation d’Asako à Ryohei se voyant travaillée de manière souterraine par la fluctuation de ses sentiments. D’abord perturbée par la disparition de Baku, Asako devient bien malgré elle une démiurge destructrice, qui dérègle autant ses relations (amicales et amoureuses) que la nature, et donc plus largement le film, réagissant à ses états d’âme. Ainsi, après qu’Asako ait quitté une première fois Ryohei de la manière la plus timide qui soit (un SMS), il fallait un tremblement de terre, scarifiant au passage le tissu urbain de Tokyo, pour que les deux amants retombent dans les bras l’un de l’autre. Il suffit aussi qu’Asako, dînant au restaurant avec son compagnon et ses amis, touche l’espace d’un plan fugitif la main de Baku, alors revenu la chercher, pour ré-embraser son esprit et faire valdinguer le décor et Ryohei, un brin engoncés : elle se retrouve aussitôt dans une voiture de sport fendant l’asphalte. Surtout, redoutant depuis le début que la crue de la rivière n’emporte la maison conjugale, c’est sous une pluie battante qu’Asako cherche à convaincre Ryohei, alors terré dans le-dit domicile, de revenir ensemble. De cette oscillation constante entre deux extrêmes se déploie le vaste nuancier des émotions qui traversent Asako, dont le visage, si souvent cerné en gros plan, laisse défiler en montagnes russes le désir et la peur, la candeur et la maturité. Sublime portrait en contre-jour d’une jeune femme qui cherche à faire la lumière sur ses sentiments.

Affiche du film "Asako I&II"

Asako I&II

Réalisateur
Ryusuke Hamaguchi
Durée
1 h 59 min
Date de sortie
1 septembre 2018
Genres
Drame
Résumé
Lorsque son premier grand amour disparaît du jour au lendemain, Asako est abasourdie et quitte Osaka pour changer de vie. Deux ans plus tard à Tokyo, elle tombe de nouveau amoureuse et s’apprête à se marier... à un homme qui ressemble trait pour trait à son premier amant évanoui.
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