Le nom de Michael Bay est associé aux grosses machines hollywoodiennes, écrites à la va-vite, faites uniquement pour ramasser un maximum d’argent auprès d’un public volontairement aliéné. Et il serait osé de contredire cette analyse, le bonhomme étant derrière Transformers, une des sagas les plus lucratives d’Hollywood, qui s’inspire, à l’origine, de jouets pour enfants. Mais Bay a exprimé plusieurs fois sa lassitude envers les films de robots, et s’est essayé à des projets toujours divertissants certes, mais d’échelle plus humaine, comme No Pain No Gain en 2013, qui raconte comment trois bodybuilders plus stupides l’un que l’autre ont réussi à extorquer de l’argent à un riche entrepreneur. Malgré cette critique acerbe du rêve américain, Bay reste associé à de nombreux clichés : explosions, personnages féminins uniquement sexualisés, humour lourd voire très lourd, théories du complot et matraquage publicitaire via de très (trop) nombreux placements de produits. Clichés auxquels il semble vouloir répondre en les exploitant jusqu’à l’excès dans son nouveau film, diffusé sur Netflix, 6 Underground.
Ce film suit une équipe de six marginaux, pseudo-agents secrets, qui veulent sauver le monde. Tout simplement. Passés pour mort, ils ont quitté leur famille et leur identité, ne répondant qu’à un numéro attribué par leur leader, Un (Ryan Reynolds), milliardaire obsédé par les horreurs humaines depuis qu’une dictature du Moyen-Orient a décidé de bombarder sa propre population. La mission du film : libérer le Turgistan de son dictateur, et rendre le pouvoir au peuple. Dès le début, on comprend que le cahier des charges ne comprenait qu’une seule ligne : faire le plus « Michael Bay » des Michael Bay. 6 Underground est un délire tout à fait assumé, comme si Bay tournait en dérision son propre cinéma. Chaque explosion est plus excessive et plus spectaculaire que la précédente, et les placements de produits s’affichent dans des plans si évidemment publicitaires qu’on s’attendrait à voir et entendre le slogan des marques présentées. Le scénario du film est simplifié au possible, de sorte qu’Un l’explique à son équipe dans un fast-food en utilisant des gobelets en plastiques : en faisant tomber les quatre principaux généraux du dictateur, ils fragilisent ce dernier, rendant le coup d’état possible.
La dérision du film repose énormément sur les dialogues, et en particulier sur les répliques du personnage de Ryan Reynolds. Ces dernières années, l’acteur s’est forgé avec Deadpool un personnage burlesque, dont l’humour repose beaucoup sur une dimension méta. Dans la peau d’Un, il questionne régulièrement les choix parfois ridicules du film, jusqu’à les critiquer ouvertement. Lors d’une scène de révolution, une musique très pop, dans le style d’Imagine Dragons, se lance dans et hors de la diégèse, pour accompagner le peuple en liesse. « Qui a choisi cette musique ? » demande Un, avant d’affirmer que ce choix est nul. Certaines de ses répliques moquent d’autres clichés du cinéma d’action façon Michael Bay, comme l’importance de la famille, très présente dans les blockbusters du genre (on pense directement aux Fast and Furious, et sa famille motorisée), tandis qu’un autre personnage, plus jeune que lui, ironise sur Netflix : « non, je ne vais pas au cinéma, je télécharge les films et je les regarde sur mon téléphone. ». Quelques vannes outrancières, classiques de Bay, ponctuent par ailleurs les dialogues, leur évitant ainsi de devenir un peu trop ambigus et de perdre le spectateur.
Mais la dérision passe aussi par des effets visuels et de montage. De nombreux ralentis viennent donner de l’emphase à des gags visuels, assez lourds pour la plupart, allant du personnage qui se prend des projectiles dans les parties génitales au cliché de la femme en robe rouge sur un scooter au début du film, qui fera soupirer « God I love Italy » à un Dave Franco charmé. Bay s’amuse aussi à mettre en scène de façon caricaturale des séquences iconiques de son cinéma, notamment le recrutement de Seven : ce militaire hanté par la mort de son escouade lors d’un attentat-suicide en Afghanistan, traumatisme qui s’exprime visuellement par un grossier effet de brouillage et de superposition, est approché par Un chez lui, au crépuscule, donnant à la scène une belle lumière tamisée. Evidemment, il refuse d’abord d’intégrer l’équipe, cliché récurrent du cinéma d’action, avant de se faire convaincre, plutôt facilement, comme si le film n’avait pas le temps d’une scène supplémentaire montrant comment ou pourquoi il accepte finalement.
Il ne s’agit pas de dire que 6 Underground est pauvrement mis en scène, bien au contraire. Son excessivité ouvertement assumée permet des scènes d’actions spectaculaires, qui prennent place dans les environnements les plus différents : d’une course poursuite en voiture façon Fast and Furious à Florence à une infiltration rappelant la saga Oceans dans un building hongkongais, tout en revenant, entre les missions, à un environnement très américain. L’action n’est jamais brouillonne, et laisse durer des plans pris à des échelles très différentes, du plan en drone au plan subjectif, évitant ainsi l’écueil du montage cut illisible. Une certaine approche du jeu-vidéo se fait ressentir dans la mise en scène de Bay à travers l’aspect très immersif des scènes d’action, dont la course-poursuite introductive est un parfait exemple. Elle commence in medias res, et garde un rythme aussi régulier que soutenu (parfois légèrement atténué par les quelques instants humoristiques), un montage précis alternant de manière très fluide entre les échanges des personnages à l’intérieur de la voiture, et la trajectoire extérieure des véhicules, si bien que les dialogues ne sortent jamais le spectateur de la scène, qui garde jusqu’au bout sa vitesse et sa tension. C’est plutôt la narration déconstruite du film, bout-à-bout de flashbacks expliquant le pourquoi de certaines scènes d’action, qui apparaît finalement artificielle. Quelque chose de plus linéaire, comme les films de la saga John Wick (dont on sent l’influence lors de la mission à Hong-Kong, avec ces décors aux couleurs très contrastés, entre obscurité et fluorescence) aurait obligé le film à assumer complètement le caractère à la fois excessif et minimal de son scénario. L’impression vient en effet que cette narration à tiroirs veut rendre le script plus compliqué ou ambitieux qu’il ne l’est, à rebours de l’ironie du projet.