Sept mois seulement après la sortie en France du très controversé Ma vie avec John F. Donovan, Xavier Dolan est de retour avec Matthias et Maxime. Le cinéaste y revient face caméra, pour la première fois depuis Tom à la ferme (2013). Matthias et Maxime retourne aux sources, celles du réalisateur et du cinéma qu’il aime : nous sommes au Québec, dans un environnement construit autour de l’amitié et du cinéma amateur, ici le modeste projet universitaire d’un des personnages. Loin des États-unis, des grosses productions, et de la vie de star maudite qui était celle de Donovan.
Le film se déroule deux semaines avant le départ de Maxime (Xavier Dolan) pour l’Australie. Jeune garçon d’un milieu modeste, il décide de partir vivre à l’autre bout du monde pour changer d’air, prendre ses distances avec une mère qui n’exprime que très peu de sympathie à son égard et vivre une nouvelle vie, le temps de quelques années. La question du temps est au cœur du film : tout au long des deux heures, on nous rappelle constamment les jours restants avant le départ, jours que ses amis les plus proches, et surtout son ami de toujours, Matthias (Gabriel D’almeida Freitas), ne peuvent s’empêcher de compter. Deux idées du temps se détachent : l’une qui renvoie à la perte, quand le passage du temps laisse surtout les traces d’une absence. Le personnage de Max l’incarne, jouit de l’amitié et de moments de vie mais reste en permanence en flottement, garde en lui la trace du temps qui passe, y compris sur son visage sous la forme d’une tache de naissance. Cette tâche lui vaut un surnom, le représente même pendant un moment d’ivresse, et il s’empressera de la faire disparaître devant la glace, comme un désir de retourner à un avant, de figer le temps. De l’autre côté, Mathias, lui, renvoie à un temps qui passe plus vite et plus brutalement. Sa carrière est brillante, sa vie amoureuse semble épanouie. Tout semble déjà tracé jusqu’au moment où le film prend racine avec ce fameux baiser.
Il sera dès lors impossible d’écarter la question de l’absence, ou d’en faire la seule obsession de Maxime, car elle devient essentielle et anime le film. Matthias et Maxime sont complémentaires, et si le titre les unit, c’est parce qu’il peuvent être traités comme deux personnes distinctes mais se retrouvent surtout en une et même entité, une amitié qui est aussi une relation complète. À l’image de l’affiche du film, ils sont deux, séparés par le bleu et le rouge, opposés, mais unis à travers l’objet du film, et le court métrage réalisé par la sœur de Rivette. Une image qui dissimule le baiser, mais que la caméra capture et qui, ainsi, unit les deux jeunes garçons.
L’absence naît alors : Matthias, à partir de ce moment, se retrouve dépossédé de quelque chose qui le dépasse. Il se retrouve dans une situation où tout tourne autour de Max et surtout de son départ. Dolan met en place un dispositif qui figure la perte et le manque qui grandit. Lors d’un entretien de Matt avec son supérieur, le jeune homme n’écoute plus, le son s’efface, laissant les paroles annonçant une promotion et une carrière à succès s’évaporer devant le regard porté sur une plante de bureau qui se meurt. Plante qui aura totalement disparu lors d’un second entretien. Autour de Maxime, l’absence est d’emblée omniprésente. Elle est déjà au sein de sa famille, puisque sa mère et lui ne s’entendent plus, et qu’elle, incapable de prendre en main sa vie et son argent, se retrouve dépendante d’une personne qui « la gère ». Cette famille tourne en fait autour d’un frère qu’on ne voit pas, et dont la seule apparition se fait via une messagerie de téléphone. Les deux jeunes garçons sont donc dépendants l’un de l’autre, et leur vie sont bousculées par ce baiser, par ce départ qui arrive plus vite que prévu.
Les relations de Matthias se dégradent, avec sa fiancé et ses amis, à l’image de nombreuses disputes, de retard aux fêtes de départ, et d’un manque d’investissement, quand Maxime attend depuis un moment une lettre de recommandation du père de son meilleur ami. Matthias essaie cependant de faire le vide et peau neuve, par le biais d’une rencontre, celle d’un avocat américain pour qui la vie est une immense farce et les relations simplement éphémères. Jeune marié, ce dernier s’empresse d’aller dans des boîtes et des clubs de strip-tease, tout en ne portant qu’un regard vide sur les uns et les autres. En opposition avec les personnages principaux, le personnage de McAfee (Harris Dickinson) s’inscrit dans un temps de l’instant, sans se soucier de l’avant et de l’après. Rapport au temps qui fait obstacle à sa relation avec Matt quand ce dernier a, avec Max, un rapport si fort en contrepartie d’une certaine brutalité. Cette brutalité dévore le film et ses personnages, et la dernière fête qui a lieu avant le départ de Max est le prétexte à une violence dans les propos de Matt comme dans ses actions, violence qui se déchaîne face au déchirement du départ. Les personnages savent qu’après ce voyage plus rien ne sera comme avant, que l’Australie promet une nouvelle vie et de nouvelles rencontres pour Max. Ce dernier ne peut pas cacher ses larmes quand il voit un dessin d’enfance représentant les deux amis. Revient pour lui la fatalité du temps qui passe, temps qui sera rendu sensible par des ralentis et des effets de cadrages comme lors du véritable baiser, celui désiré, auquel pousse le film dans le film.
Matthias et Maxime ne parle pas seulement de l’enfance et de l’amitié, et de l’attachement de Dolan à ces thèmes. C’est aussi une déclaration d’amour au cinéma. Il n’est pas ici question du même amour que dans Laurence Anyways (2012), car le retour aux sources de Dolan renvoie à l’enfance, et à celle de son cinéma. Dolan réfléchit avec son dernier film sur son écriture : les musiques commerciales omniprésentes accompagnant les ralentis de ses derniers long-métrages ont laissé place à une musique d’ambiance plus douce qui, finalement, apporte les mêmes sensations. Le cinéaste questionne sa dernière grosse production avec le personnage de la soeur de Rivette, qui se voudrait star et cinéaste à l’ambition internationale mais qui, finalement, n’amusera que les épouses et mères de la bande de potes avec son film « surréaliste et expressionniste. » L’utilisation de l’anglais aussi est tournée en ridicule à travers ce personnage, puisqu’il est question de placer quelques mots qui font bien, et qui s’intègrent dans le contexte des réseaux sociaux et les pratiques d’une génération. Dolan lui revient à l’essentiel, comme le film au premier baiser que l’on ne voit pas, et qui n’est d’abord qu’un détail, un élément auquel seul Matt accorde une importance dévastatrice. Importance qui ne sera plus rien pour lui lors du véritable baiser, celui qui accomplit le désir puissant des deux hommes, qui apparaît à l’image et qui n’est pas dissimulé ou caché par la caméra. Le cadre est l’objet en même temps que l’outil de Dolan, qui le manipule et le figure à la fois : plusieurs images sont mises en scène au travers d’un cadre dans le cadre, notamment lors du travelling qui nous détache des amis qui courent ramasser le linge sous la pluie et nous emporte dans l’intimité des deux jeunes hommes, enfermés dans le garage comme dans l’image.
Dolan interroge le cinéma en général en même temps que le sien, et nous pouvons sentir dans Matthias et Maxime une certaine bouffée d’air frais : lorsqu’au début du film Matt ressort du lac essoufflé, c’est une sorte de retour à la surface, une manière d’échapper à la noyade qu’a pu être pour le cinéaste Ma vie avec John F. Donovan. Bien entendu, les questions récurrentes de son cinéma résonnent de nouveau ici. Le rapport maternel est encore envenimé, mais il est cette fois plus subtil, peut être même mieux déployé car il nous faut seulement une séquence pour comprendre ce qu’il se passe. La question de l’homosexualité est elle simplement suggérée, à travers des regards, que les personnages se renvoient à travers celui du cinéaste. Cependant, il n’est pas question dans ce film de ma lutte constante pour la place de l’homosexualité dans le cinéma, mais d’un détachement et d’un rapprochement entre deux hommes qui souffrent face au passage du temps. Après une expérience américaine difficile, Matthias et Maxime crée la surprise avec une écriture plus malléable, une temporalité qui navigue entre passé, présent, retours et arrêts. Eloge du cinéma qui pourrait même passer par un clin d’oeil à Jacques Rivette dont le nom est porté par un des jeunes de la bande, le film prend son envol à partir d’un renouveau, un départ d’une terre que le cinéaste avait travaillée et qui ne fleurissait plus. Le sourire que porte Matt lors de la dernière image affiche une facilité retrouvée à aimer et faire du cinéma.