Menace de tempête

Dracula, Francis Ford Coppola, 1992

Alors que l’arrivée de Dracula dans le royaume des vivants londonien est imminente, un changement climatique inquiétant met sens dessus-dessous une séquence de montage alterné. C’est par une simple goutte de pluie tombant sur le visage de Lucy qu’une réaction en chaîne s’amorce, faisant progressivement déborder le compte d’une présence surnaturelle et gagnant le contrôle des personnages. Cette goutte se transformera en une tempête, à mesure que le comte lui-même se métamorphose en une créature étrange.

Dans cette séquence complexe, Dracula est à trois endroits en même temps : sa présence apparaît d’abord chez Lucy, puis sur les eaux, dans un bateau parti de la Transylvanie et voyageant pour l’Angleterre, et enfin au zoo de Londres. Il n’est physiquement présent que lors du voyage en mer, à l’intérieur d’une caisse dans la soute du bateau, au sein de laquelle il se transforme. Ailleurs, chez Lucy et au zoo, sa présence semble altérée par cette mutation physique, à l’image du rayonnement bleuté sur sa peau, évoquant celui du ciel dans lequel il apparaît. Les éléments naturels sont comme personnifiés par le personnage de Dracula.

Sa présence flottante apparaît au premier abord par son regard incrusté sur un ciel devenu soudainement sombre, chargé de nuages avançant rapidement et de façon irréelle. Cette apparition se substituera peu à peu à d’autres plans de ciels sans regards, qui lui permettront de passer d’un espace à un autre. On retrouve par plusieurs endroits cette même association regard-ciel en un plan, comme lorsque Jonathan est en route pour le manoir, ce qui permet discrètement à Dracula de suivre l’évolution de ses plans stratégiques et machiavéliques.

Le ciel constitue un point de vue pour Dracula, tandis que d’autres éléments de la météo marquent sa présence. Les éclairs, le vent et la pluie qui surprennent Mina et Lucy, les entraînent dans une séquence de chorégraphie étrange, ou la lumière fait rapidement place à l’obscurité. Comme somnambules, les deux femmes s’élancent et tournoient dans le labyrinthe sous une pluie qui ne cesse de s’accroître tout en riant les yeux clos. Dracula, qui les accompagne en hors champ sonore apparaît peu à peu à l’image, le visage en haut du cadre tourné vers elles, et c’est comme si toute cette pluie provenait directement de son visage.

L’eau, tout aussi importante que le ciel, coule à l’intérieur et entre les plans au fil du montage. D’abord petites, les gouttes d’eau s’intensifient en averses et se déversent en mer. Cette “tempête qui semble surgir de nulle part” selon le capitaine de bord, fait surgir une vague sur la voile faisant apparaître comme par magie le portrait peint de Dracula. Le regard du comte s’approche et s’éloigne au rythme du navire qui tangue sur les flots. Dracula est la vague ; il est aussi la pluie, le ciel et la foudre. Sa présence s’intensifie au rythme de la tempête qui fait rage.

L’eau ne fait que s’accroître et rentrer dans les différents espaces de cette séquence aux enchaînements rapides. C’est toute la carte de Londres qui se fait éclabousser par une vague venue de la mer, surgissant ensuite de façon fantastique dans la prison où les disciples de Dracula se trouvent enfermés. Ils se font violemment aspergés par le tuyau que les geôliers utilisent pour calmer la panique ambiante : Dracula se rapproche et sa force s’intensifie comme la puissance condensée du jet d’eau. Les éclairs frappent le zoo de Londres où des animaux s’agitent et s’échappent dans la nuit, semant la peur et la panique.        

La métamorphose permettant la venue du comte bouleverse tout sur son passage. L’éclatement de son âme éparse, se déplaçant dans les multiples espaces-temps au moyen des éléments naturels lui permet de faire régner la terreur sur tout ce qu’il convoite.

Eloïse Mahieux

À propos
Affiche du film "Dracula"

Dracula

Réalisateur
Francis Ford Coppola
Durée
2 h 10 min
Date de sortie
13 novembre 1992
Genres
Romance, Horreur
Résumé
En 1492, le prince Vlad Dracul, revenant de combattre les armées turques, trouve sa fiancée suicidée. Fou de douleur, il défie Dieu, et devient le comte Dracula, vampire de son état. Quatre cents ans plus tard, désireux de quitter la Transylvanie pour s’établir en Angleterre, il fait appel à Jonathan Harker, clerc de notaire et fiancé de la jolie Mina Murray. La jeune fille est le sosie d’Elisabeta, l’amour ancestral du comte…
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