Premier et dernier
supplément quasiment non-payant
fournissant l’élément non-présent
dans l’ultime sublime
itération de la publication
de The French Dispatch
Très chère ancienne abonnée, très cher ancien abonné,
Comme vous le savez certainement – et si ce n’est pas le cas, peut-être n’est-ce pas plus mal pour vous qui ne nous lisiez plus – la parution de notre journal, The French Dispatch of the Liberty, Kansas Evening Sun, plus communément et simplement appelé The French Dispatch, a cessé après une ultime itération et ce, conformément au souhait de feu notre rédacteur en chef Arthur Howitzer Jr., tel qu’il le formulait dans son testament. En tant qu’abonné, vous avez donc eu, comme à l’accoutumée, le privilège de recevoir cette ultime itération une semaine avant qu’elle ne soit disponible pour les non-abonnés chez les kiosquaires et autres libraires. Cependant, après l’impression puis l’expédition des premières éditions de l’ultime itération vous étant destinées et avant de procéder au remboursement des numéros restants au prorata du nombre de numéros non édités, nous avons réalisé que nous avions oublié d’y inclure le très fameux ticket, notre billet cinémat(yp)ographique, lorsque le rédacteur de cette chronique, R. P. R. D. Giroud C., qui était au cinéma au moment du tragique trépas de notre rédacteur en chef, arriva à la rédaction. C’est pourquoi vous recevez et lisez ce premier et dernier supplément quasiment non-payant fournissant l’élément non-présent dans l’ultime sublime itération de la publication de The French Dispatch, corrigeant ce manquement.
Je souhaiterais avant tout rendre hommage à M. Arthur Howitzer Jr. en observant une minute de silence.
C’est un honneur pour moi de voir figurer une dernière fois l’un de mes tickets aux côtés d’articles de mes estimés consœurs et confrères de The French Dispatch, Herbsaint Sazerac, J. K. L. Berensen, Lucinda Krementz et Roebuck Wright. Il n’a pas été simple de choisir le texte qui figure dans ce dernier numéro. J’ai d’abord pensé à « Dans le rapere de l’oiseau de proie », mon premier billet cinémat(yp)ographique, mais il est loin d’être le meilleur. On m’a suggéré « Vous prendrez bien un autre part de désert » mais il m’a été reproché que celui-ci s’apparentait un peu trop à un guide de voyage. Le choix idéal m’a finalement paru évident : comment ne pas republier le ticket dans lequel je parlais du film La Dépêche française de Wes Anderson, inspiré de notre très cher journal ? J’espère que vous prendrez plaisir à redécouvrir l’article suivant.
Le ticket : billet cinémat(yp)ographique
La trépidation des tribulations de trois trublions
Tourné dans notre très chère ville d’Ennui-sur-Blasé et librement inspiré de votre bien aimé journal (je m’engage évidemment à respecter la neutralité journalistique), le dernier film du célèbre cinéaste Wes Anderson est enfin sorti. Construit tel un film à sketches – comme les films de la comédie à l’italienne d’il y a quelques années – la structure du long-métrage, qui se veut très inspiré par la presse, est pensée comme une gazette ; il est donc composé de plusieurs parties ou articles : une introduction puis trois histoires distinctes. Pour mettre en image ces articles, le cinéaste s’est payé le luxe de faire appel à de nombreux comédiens et comédiennes de renom, et ce même pour des rôles secondaires. On assiste alors à un défilé vertigineux d’apparitions furtives, ce qui donne parfois lieu à un étrange mélange entre une partie de « Qui-est-ce ? » et la lecture d’un « Où est Charlie ? », un « Qui est Charlie ? » ou plutôt un « Où est-ce ? » en (der) somme. Il n’est en effet pas rare que le film nous perde car bien qu’il soit réglé comme du papier à musique, le nombre excessif d’éléments visuels et sonores crée un véritable fouillis et, paradoxalement, l’ordre crée du désordre puisqu’en plus de ça, le rythme est très soutenu. Le film va vite, il est donc impossible de se souvenir de tout ou même de tout relever, il est fort probable qu’une phrase, un geste, vous ait échappé, je suis sûr en tous cas de ne pas avoir tout vu ni tout entendu. Le long-métrage laisse donc un vague souvenir où il est presque impossible de se rappeler du nom des personnages, on retiendra plutôt le nom de l’acteur qui l’interprète et son rôle, si tant est que l’on connaisse son nom et qu’il ait un rôle un minimum important car un public non averti pourrait tout simplement voir « un comédien que je crois avoir déjà vu quelque part mais je ne sais plus où, qui porte un costume qui le rend presque méconnaissable, qui est seulement là pour ouvrir une porte et manger des marrons glacés ». On en revient à notre drôle de partie mélangeant deux jeux, Qui est Charlie, Wes ? Ce vague souvenir que laisse le film me fait penser à ceux que laissent parfois la vie. Il est évident que dans la vie, il nous est impossible de nous rappeler de tout et on a souvent juste un vague souvenir d’un événement passé, sans que l’on se rappelle de chaque détail, du nom des personnes, de la configuration du lieu, de la date, de l’heure, de ce qui a été dit exactement (même si ce sont des mots que nous avons nous-même prononcés) et cætera. Le film semble produire sur nous cet oubli caractéristique de la vie, comme si on avait, comme il est forcément déjà arrivé à tout un chacun, assisté à une scène qui se déroulait sous nos yeux mais dont on serait seulement des témoins, qui ne nous concernerait pas vraiment. Pour moi, c’est une invitation à se laisser emporter par le flot d’images, de paroles et de textes, par ce qui est donc l’essence même du cinéma, pour tout oublier le temps d’un instant, une injonction à ne pas essayer de se rappeler de tout puisque c’est impossible. On pourrait donc également voir cela comme une réflexion sur la nature même d’un journal, son but étant de relater tout ce qui se passe, de documenter et d’archiver pour la postérité, le film serait alors en quelque sorte un bel aveu d’échec du journalisme.
J’aurais voulu aller revoir cette œuvre foisonnante, qui appelle à un (si ce n’est plusieurs) autre(s) visionnage(s) mais elle n’était malheureusement déjà plus à l’affiche dans nos cinémas d’Ennui-sur-Blasé ; conséquence de la grippe de Hong Kong qui se fait encore sentir, les dates de sortie de nombreux films ayant été repoussées, il y a donc maintenant un véritable embouteillage de longs-métrages à la sortie. Des films comme La première Vache ou Petite Anne [NB: ce ne sont pas des films sur les animaux de la ferme comme vous pouvez le croire si l’on vous fait la lecture de ce premier et dernier supplément quasiment non-payant fournissant l’élément non-présent dans l’ultime sublime itération de la publication de The French Dispatch, il faut comprendre Anne comme le prénom et non comme l’équidé] l’avaient alors déjà remplacé. J’aimerais d’ailleurs brièvement vous faire part de mes états d’âmes sur ces deux œuvres.
Notes sur d’autres films
La douceur dans le champ
La première Vache, dernier film en date de Kelly Reichardt, débute de nos jours, par la promenade d’un chien accompagné de sa maîtresse aux abords d’un fleuve. Si cette séquence n’a vraisemblablement rien à voir avec le reste du récit, la cinéaste passe par l’ordinaire pour introduire son film mais également pour donner le ton du long-métrage. En effet, l’apparente banalité de la scène marque les prémices de la réelle simplicité – dans le sens mélioratif du terme – qui se dégage de cette œuvre. Ce film, qui nous donne à voir l’histoire d’amitié entre Otis « Cookie » Figowitz et King-Lu dans l’Oregon de 1820, est bien plus qu’un western révisionniste, c’est un véritable anti-western, dans tous les sens du terme. Les protagonistes ne sont pas des héros mais un humble boulanger-pâtissier et son financier chinois (sans rapport avec le petit gâteau ni avec la brioche fourrée, il sera plutôt question de beignets et d’un clafoutis qui sera l’airelle (de trop) sur leur coup-pièce monté-e), qui sont toutefois contraints de voler le lait avec lequel ils font leur beurre, nous rappelant que tout n’est pas soit bon, soit mauvais – à l’instar de King-Lu, qui avoue avoir tué un trappeur au début du film -, loin de l’habituel manichéisme des westerns classiques. Ce western, qui n’en est résolument pas un, tient les codes du genre à distance, préférant laisser la violence des Hommes en hors champ pour concentrer son attention sur la douceur de la vache dans le champ. Parce qu’il n’y a bien qu’une seule vache dans le film, la première donc, avec laquelle Cookie, à la fois véritable cow-boy – la réalisatrice revenant à l’origine du terme pour le réinventer, lui donnant presque un nouveau sens, plus littéral – et à la fois en quelque sorte voleur de bétail, interagit presque d’égal à égal, d’être vivant à être vivant. Lui parlant comme à un être humain, la considérant tout simplement comme un autre être sensible, loin de la vache indifférenciée dans un troupeau et objectifiée. Reichardt se focalise sur une vache unique pour faire l’éloge de ce qui n’est pas extraordinaire, ou spectaculaire, mais qui donne lieu à un ordinaire exceptionnel, comme ce film.
La poupée et deux sangs
Cela se ressent dès le début du film : Leos Carax voulait, avec son tant attendu Petite Anne, réaliser une œuvre grandiose. Plus qu’une simple comédie musicale, il a créé un opéra cinématographique dans lequel toute parole est chantée, où la musicalité est omniprésente. Cet opéra relate l’histoire d’amour entre Henry McHenry, un humoriste, et Ann Desfranoux, une cantatrice. De cet amour naîtra Annette, une petite Anne donc, qui ne sera jusqu’à la quasi toute fin du film qu’une marionnette au sens propre comme au sens figuré. Cela souligne le jeu entre le vrai et le faux, entre réalisme et artificialité, déjà induit par la présence de l’opéra, avec lequel le cinéaste s’amuse tout le long du long. Mais si le réalisateur semble s’amuser, ce n’est pas toujours le cas du spectateur qui se retrouve souvent perdu et livré à lui-même : on ne comprend pas vraiment ce que le film essaie de nous dire, préférant s’adonner au spectacle pour le spectacle, sans entrer en profondeur dans les sujets non pas soulevés mais plutôt effleurés. Non pas qu’il y ait une obligation à faire des films engagés, certains chefs d’œuvres prônent le pur spectacle, mais pourquoi amorcer une prise de parole sur des sujets tels que l’abus de pouvoir parental, les dérives de la notoriété, MeToo, ou esquisser une critique du journalisme – tout du moins de la presse à scandale puisque Henry, stéréotype du personnage torturé, comme il est courant d’en croiser dans les opéras, finit par commettre l’irréparable deux fois (et a donc le sang de deux personnes sur les mains si ce n’est leur mort sur la conscience) et on pourra suivre sa descente aux enfers sur les Une de tabloïds – pour ne finalement rien dire réellement de ces sujets ? Carax nous livre donc un film en demi-teinte, à la fois très musical mais aussi muet, n’arrivant pas à parler des sujets qu’il semble vouloir aborder.
R. P. R. D. Giroud C.
Ainsi s’achève le premier et dernier supplément quasiment non-payant fournissant l’élément non-présent dans l’ultime sublime itération de la publication de The French Dispatch, et par là même se tourne la dernière page de notre très cher journal, The French Dispatch of the Liberty, Kansas Evening Sun.
Merci, très chère ancienne abonnée, très cher ancien abonné, de nous avoir supportés durant toutes ces années, au fil de tous ces papiers.
La Rédaction
de The French Dispatch
of the Liberty, Kansas Evening Sun